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Pour bien vous accrocher en ce début de chronique, je vais vous parler de statistiques.

Je ne révèle rien de bien étonnant si je vous dis qu’au Canada, les francophones forment la minorité linguistique la plus importante, avec 22 % et des brouettes. À ceux qui s’inquiètent s’il est vraiment nécessaire d’être bilingue pour travailler au Québec, je vous ne cacherai pas que c’est au Québec qu’on est le plus bilingue : 40,8 % de la population. C’est à Terre-Neuve qu’on l’est le moins : 3,7 %.

À Montréal, 36 % des travailleurs interviewés disent utiliser régulièrement l’anglais ; 16 % l’utilisent principalement ; et 52 % ne travaillent qu’en anglais. À l’inverse, 31 % des anglophones, seulement, disent utiliser le français plus souvent que l’anglais. À Gatineau, en Outaouais, 68 % des travailleurs disent n’utiliser que l’anglais (source : recensement de 2001). Vous êtes toujours là ?

Vous en retiendrez que vous devez bosser votre anglais. Je comprends votre intérêt et ne le nierai pas. Vous entretenez également ce fantasme que vos enfants apprennent l’anglais. J’entretiens le même rêve. Ma hantise était que mes enfants subissent les « I sink ze sri children are sinking » (I think the three children are thinking) que j’ai entendu prononcer par certains jeunes adultes de mon entourage dont je tairai la nationalité.

Mais certains d’entre vous croient que cet apprentissage passe nécessairement par l’école anglaise au Québec. Et c’est là que je cesse de compatir. Il ne vous sera pas possible d’envoyer vos enfants à l’école anglaise publique au Québec, point. Une exception existe pour les enfants de Canadiens ayant fait la majorité de leur éducation élémentaire en anglais. Une exception existe également pour ceux qui ont les moyens de payer une école privée. En ce moment dans le monde, s’engage une lutte pour contrer les effets de la prépondérance de l’anglais, et cette lutte est concrétisée par l’adoption de législations protégeant les langues nationales. Nous avons été parmi les premiers à le faire ; nous ne serons pas les derniers.

Nous, Québécois, avons depuis un moment perdu l’espoir que la Charte de la langue française au Québec soit comprise par les Canadiens non francophones. Mais j’ai remarqué à plusieurs reprises une incompréhension des immigrants, de vous, vis-à-vis de cette loi. Certains ont la prudence diplomate de ne pas trop insister sur l’accès à l’école anglaise. D’autres s’en vexent ouvertement, de même qu’ils ne comprennent pas que l’État québécois n’offre pas de cours d’anglais aux immigrants.

Cela étonnera peut-être quelques francophones parmi vous, mais une idée reçue court les rues : celle voulant que tous les immigrants accueillent avec joie et bonheur le fait français au Québec. Traditionnellement, les nouveaux arrivants apprenaient avec surprise que la province était plutôt francophone. Certains de nos comparses québécois anglophones ont vécu ici des décennies sans même s’en rendre compte – il faut les pardonner, les moyens de communication à Westmount étaient rudimentaires à l’époque.

Jusqu’aux années quatre-vingts, le taux d’assimilation des immigrants à la communauté anglophone était donc presque total. Avant les années soixante, il faut l’avouer, les écoles confessionnelles catholiques (françaises) refusaient d’admettre les immigrants dans leurs rangs et ceux-ci étaient contraints de joindre les rangs des écoles protestantes anglophones. D’autres préféraient carrément l’école anglaise – à quoi bon immigrer en Amérique du Nord si c’est pour apprendre le français ? Cette mauvaise gestion de l’intégration des immigrants contribua à la désaffectation ressentie par une majorité d’immigrants envers le fait français au Québec. Depuis, on a enfin compris que l’apprentissage du français au Québec est un moyen pour les immigrants de favoriser leur sentiment d’appartenance.

Vous aurez compris que l’intérêt du Québec de gérer sa politique d’immigration est de pallier son faible taux de natalité et, par conséquent, son poids démographique déclinant vis-à-vis du RoC (Rest of Canada).

Nous sommes 5,7 millions de francophones au Québec entourés de 320 000 000 anglo-saxons. Allumez la télé : plusieurs chaînes sont francophones, mais la plupart sont anglophones. Vous aimez les films en VO ? La VO, ici, c’est l’anglais et vous ne bénéficierez pas de sous-titres. La musique, partout dans le monde, est anglo-saxonne. Vous aurez peut-être des petits voisins anglophones. Mon aîné, en prématernelle, a eu droit à une immersion en anglais cet été et il a appris à compter jusqu’à 10 en anglais et à dire les couleurs en anglais. L’anglais est enseigné à partir de la troisième année de l’école élémentaire, en général. Bref, les occasions d’apprendre l’anglais sont multiples. Au cégep et à l’université, libre à vous d’étudier dans la langue de votre choix. Libre à vous également d’inscrire vos enfants à l’école privée anglophone si vous avez vraiment une envie irrépressible de jeter votre fric par les fenêtres.

Je ne m’oppose pas à l’apprentissage de l’anglais en tant que langue de communication internationale. Mais sachez que malgré des lois linguistiques réputées de béton, le français ne fait que reculer, particulièrement chez les immigrants (ce n’est pas le Parti québécois qui avance cela, c’est Statistique Canada). La fréquentation d’une école anglaise provoque presque systématiquement un rejet de la langue française (alors que le contraire ne se produit pas, étant donné la force indéniable qu’a l’anglais dans le monde). Il est effarant, dans une ville comme Ottawa, de constater le nombre de Canadiens au nom bien francophone qui n’arrivent pas à s’exprimer dans cette langue. Il est possible, dans la deuxième ville francophone au monde, Montréal, de vivre une vie entièrement en anglais.

Au Québec, comme partout ailleurs, la langue n’est pas seulement un caprice. La langue est le véhicule de la culture et des valeurs. Pour utiliser l’exemple de la publicité, il y a belle lurette qu’on ne fait plus simplement que traduire pour le public québécois des publicités tournées en Ontario. Lorsque j’étais enfant et jeune adulte, il était très fréquent de voir des publicités traduites par-dessus la version originale (et on en rigolait, mi-agacés, car les dialogues ne correspondaient pas au mouvement des lèvres). Les publicités, désormais, sont non seulement traduites, mais adaptées au public, tenant compte de ses propres cordes sensibles, de ses valeurs, de son humour, de ses références culturelles, historiques, etc.

Le français mourra bien un jour, comme d’autres langues prépondérantes ont fini par s’étioler. C’est le cours normal de l’histoire des langues à travers le monde. Le français au Québec ne concurrence pas avec quinze autres langues de statut à peu près égal. L’état du français ici n’est absolument pas comparable à l’état du français en France. Ce qui est particulier au Québec, c’est notre proximité avec le géant anglo-saxon. Si nous ne prenons pas en main notre politique nataliste, notre politique linguistique, notre politique d’immigration…. nous tombons aux mains de notre voisin, tout simplement. Je ne lutte pas pour le français parce que cette langue est plus belle que les autres ou par dépit d’avoir perdu une bataille en 1760, je lutte et j’exige de mon gouvernement qu’il lutte aussi parce que c’est MON identité et l’identité de mon peuple, et que c’est ce qui nous rend distincts en Amérique du Nord.

On nous a permis de garder notre langue, à condition qu’on veuille bien rester dans notre gigantesque réserve. Les médias anglophones nous assomment avec leurs éternels hauts cris concernant notre mauvais traitement de notre minorité principale (les anglophones). Qu’une chose soit claire : le pourquoi du comment d’une loi 101, sa pertinence, sa moralité éventuelle, se résument à… des statistiques démographiques. Qu’une deuxième chose soit claire : les anglophones ne sont pas une minorité.

Nous, nous sommes…. 2 %. Love it or leave it.

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Écrit par
JayJay

Née sur la Côte-Nord québécoise et Montréalaise dans son coeur, JayJay a immigré en France en 1997 pour des raisons professionnelles mais surtout par amour pour un Français. Après un mariage et la naissance de deux petits franco-canadiens en 2000 et 2003, la petite famille a quitté Paris pour s'installer au Québec.

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