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Rectitude politique

L’autre jour, mon conseiller financier m’a parlé d’investissements dynamiques. En l’écoutant, j’ai fini par comprendre qu’il me parlait de placements à risques très élevés.

Le secteur forestier québécois vit une importante reconfiguration de ses entreprises suite au conflit sur le bois d’oeuvre. Comprenez qu’il doit faire des mises à pied massives pour survivre. Excusez : il doit procéder à une restructuration majeure de son industrie pour rester compétitif.

La semaine dernière, une étudiante me faisait remarquer que je commettais une erreur en parlant d’ethnies alors que j’abordais les difficultés d’insertion professionnelle de certains jeunes à Montréal dans mon cours. D’après elle, il faut désormais parler de communautés culturelles.

De gré ou de force probablement un peu des deux la diversité culturelle de la société québécoise s’accentue d’année en année. Du 1er au 08 octobre dernier, c’était d’ailleurs la Semaine Québécoise des Rencontres Interculturelles : l’occasion pour le Québec d’organiser une série d’activités sur tout son territoire pour à la fois souligner et rappeler le métissage croissant de sa société Autrement dit, il devient de plus en plus important de sensibiliser les diverses ethnies scusez, communautés culturelles de la société québécoise à la pertinence de se (re)connaître.

Voilà donc une activité qui reflète un souci collectif de se doter de règles de cohabitation afin de maintenir l’harmonie générale autant que possible. L’arsenal d’activités ou de mesures ne manquent d’ailleurs pas à cet effet. Il en est cependant une qui se démarque à mes yeux par sa grande influence bien que ne disposant pas – ce qui est paradoxal – d’aucune base juridique ou officielle. J’ai nommé la rectitude politique.

Si je menais un projet de recherche, mon hypothèse de recherche se formulerait probablement comme quelque chose dans ce goût-là : est-ce que la rectitude politique aide ou nuit au maintien de la société québécoise ?

En avril dernier, on nous annonçait que le nouveau cours d’histoire du Canada et du Québec au secondaire (alors prévu pour 2007) allait faire peu mention d’événements tels que l’Acte d’Union de 1840 ou le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982. Ceci afin de rendre compte d’une histoire moins conflictuelle, moins politique et davantage plurielle. Selon Jean-François Cardin, historien-didacticien de l’Université Laval, Il s’agit de sortir du cadre habituel d’une histoire structurée autour des conflits entre les francophones et les anglophones pour faire une histoire plus rassembleuse. Bref, au nom d’une histoire qui se veut citoyenne, on balaie sous le tapis une couple d’affaires pour éviter le trouble et montrer qu’on est une société ben ben fine.

Mais, au nom de la pluralité qui est désormais la réalité du Québec, doit-on escamoter la singularité québécoise, qui est au fondement même de cette société ? C’est, en gros, la question très pertinente que pose Mourad Djebabla en réaction à ce projet. En effet, si on efface des pans entiers de l’histoire du Québec, comment comprendre ensuite certains phénomènes en jeu ? Est-ce réellement acheter la paix que de montrer une histoire polissée et bien vernie ? À court terme, assurément. Mais à long terme, la tragédie ne sera pas d’avoir menti ou caché : cela aurait été d’avoir formé des générations de fourvoyés.

By the way, c’est quoi déjà la devise du Québec ?

Je comprend l’intention très humaniste derrière la rectitude politique. Au-delà des règles minimales nécessaires à la vie en société (respect, politesse, etc), certaines situations exigent d’en faire un tout petit peu plus lorsqu’on est confrontés à une grande diversité culturelle ou religieuse. C’est un peu développer le réflexe mental de bien choisir ses mots avant de parler afin de ne blesser personne de manière indue. Mais il ne faut pas mélanger égalité sociale et rectitude politique : si le premier est correct, le second en est la forme exagérément caricaturale ; la politesse poussée au summum du ridicule quant à moi.

Et encore : quand c’est juste ridicule, on peut encore en rire. Là où ça ne me fait plus rire, c’est lorsque qu’une culture est en jeu. À l’édition du 29 septembre dernier de « Il va y avoir du sport » sur Télé-Québec, la journaliste Marie-France Bazzo posait bien la question : De rectitude politique en exceptions culturelles : Le Québec français va-t-il disparaître ?

Avez-vous bien lu ? Je vous le remet : le Québec FRANÇAIS.

Ha oui, c’est vrai ‘J’aurai dû préciser que dans mon hypothèse de recherche, par société québécoise, je faisais référence à la société québécoise francophone (qui en constitue encore la culture principale).

Je vois déjà les chantres – de la rectitude politique probablement – fondre sur moi en m’accusant de défendre un nationalisme au sens lepéniste du terme. Primo, respecter l’histoire nationale sans la tronquer cela ne signifie pas nécessairement faire de l’histoire nationaliste pour reprendre Mr Djebabla. Autrement dit, chercher à protéger sa culture ne signifie pas qu’on la considère supérieure aux autres. Et là, je fais le lien avec un certain racisme qui est attribué aux québécois lorsque ces derniers expriment une « certaine réserve » face à certaines demandes de communautés culturelles (ex : l’affaire du kirpan). Et là et ça sera mon deuzio il ne faut pas confondre racisme et résistance culturelle pour reprendre l’argument du cinéaste et écrivain Jacques Godbout : le racisme est une discrimination fondé sur la race alors que la résistance culturelle est fondé sur le bien commun. Une société québécoise réellement raciste fonctionnerait donc sur un principe de sélection basé sur l’exclusion raciale, ce qui n’est pas le cas. En revanche, elle fonctionne sur un principe de sélection basé sur l’inclusion culturelle, c’est-à-dire sur le désir d’accueillir toute différence comme source commune d’enrichissement.

Ce qui n’est pas le cas du racisme dans la mesure où ce dernier se caractérise souvent par sa conviction d’avoir un statut de supériorité (raciale, économique, culturelle, etc) ; c’est-à-dire par la rigidité de sa pensée interdisant de facto toute possibilité d’enrichissement de l’extérieur, de mise en commun avec « l’Autre ». Croyez-vous que cela soit réellement le cas de la société québécoise ?

Car c’est là le problème de la rectitude politique dans le contexte québécois de l’immigration : on ne peut plus rien dire sans risquer de se faire incendier alors que le plus souvent, la personne cherche soit 1) à comprendre ce qui arrive à « sa » société, soit 2) à engager une conversation sur un sujet délicat en ayant les meilleures intentions. Ce qui est assez extraordinaire, avouons-le. Car si la rectitude politique avait notamment pour but de se doter de bases communes pour favoriser le dialogue dans le respect de chacun, dans les faits, on peut constater le contraire : en effet, on frise souvent le maccarthysme. C’est-à-dire une chasse aux sorcières où, au mieux, on a droit à un dialogue aseptisé qui ne veut plus rien dire et au pire, on assiste à des escalades verbales, ce qui n’aide pas au respect mutuel. Comme le dit Pierre Lemieux [5], faut plus qualifier de sauvage un indien. Maintenant, il faut dire Amérindien. Non, autochtone. Mieux encore : Premières Nations. Et si vous ne respectez pas ces dénominations, ça sera vous le sauvage. Avec un procès sur le dos en plus pour insulte raciale.

Parce que la rectitude politique cherche aussi à créer un ensemble sociétal harmonieux, chaque groupe tient à avoir son propre qualificatif : les Premières Nations, les aînés, les gays et lesbiennes, les musulmans, les féministes, les évangélistes, etc. D’où un second paradoxe : si on veut vivre tous ensemble sans distinction, il semble apparemment tellement nécessaire de bien se différencier les uns des autres. Et son corollaire : accorder des traitements « privilégiés » – donc, distinctifs – à certaines communautés dans le but de traiter tout le monde sur le même pied d’égalité, c’est-à-dire sans distinction ! Lorsqu’il s’agit, par exemple, de construire des rampes d’accès à des personnes en fauteuil roulant ou de proposer des structures scolaires adaptées pour des élèves en déficience mentale, je dis oui sans hésiter. Mais lorsqu’il s’agit d’exiger une technicienne en radiologie pour l’échographie d’une femme musulmane enceinte dans un système de santé où les ressources sont rares, je dis non [6]. Et si vous ne voyez pas pourquoi je dis oui à l’un et non à l’autre, réfléchissez à la différence entre une réelle inégalité sociale et une perception d’inégalité sociale.

Parce que cela fait partie du jeu de la démocratie, c’est souvent une question de qui aboiera le plus fort. Et la bataille est dure et sans pitié : au moment où j’achève cette chronique, je lis sur le site de SRC qu’un des cadres du Parti Québécois, Dominique Ollivier (issue d’une minorité visible), vient de démissionner de son poste car elle reproche à son chef, André Boisclair, son peu d’ouverture aux communautés culturelles [7]. En ce sens, je rejoins encore une fois Pierre Lemieux qui dénonce la rectitude politique comme étant une logique morale groupiste. C’est-à-dire une morale de groupes particuliers qui justifient leurs revendications sur la base de leur statut minoritaire. Un discours qui trouve évidemment un écho favorable au Québec, une société elle-même minoritaire sur bien des plans. Pourtant, cela ne semble jamais suffisant si l’on se fie à une certaine presse canadienne anglophone (cf. éditorial de Jane Wong dans le Globe and Mail suite à la tragédie de Dawson). Pourtant, il semblerait que la société canadienne ne serait probablement pas si tolérante, ouverte et progressiste que cela s’il n’y avait pas eu, entre autre, un mouvement souverainiste francophone pour lui rappeler constamment la fragilité de la confédération (Henry T. Aubin, chroniqueur à The Gazette de Montréal [8]).

Ainsi, au nom de l’ouverture, du respect des autres cultures et de ses valeurs progressistes, la société québécoise doit faire preuve d’une certaine rectitude politique pour accommoder ses immigrants. Le terme accommodation est d’ailleurs un terme très politiquement correcte pour taire des réalités qui le sont beaucoup moins : tensions, frictions, accrochages. D’ailleurs, le gouvernement québécois vient d’annoncer la mise sur pied d’un comité « chargé de définir les demandes d’accommodements raisonnables formulées par les communautés culturelles et religieuses dans les écoles » suite à des événements tels que le kirpan et le port du voile dans les écoles [9].

Il est effectivement important de baliser rapidement dans cette sphère de la société civile. Surtout que la majorité des québécois avec qui je m’entretiens de ce sujet ressentent un certain sentiment de trahison : ils nous offrent une société dotée de droits et libertés individuels et certains immigrants en abusent. Un temps j’ai pensé que c’était un simple malentendu : pour l’immigrant, la liberté de religion par exemple est probablement interprétée comme le droit de pouvoir vivre sa religion de manière inconditionnelle, c’est-à-dire sans aucune restriction. Ce qui est une interprétation logique en soi mais inexacte remise dans son contexte. Car il faut être extrêmement naïf pour croire qu’une société puisse garantir cela dans la mesure où, pour exister, elle a besoin d’un minimum de cohésion sociale (fin du malentendu). Ladite cohésion sociale exigeant la définition d’un socle identitaire commun minimal à laquelle chacun de ses membres puissent s’y reconnaître et s’y rattacher. Le prix à payer étant, dans le cas du Québec et dans l’exemple ici en l’occurrence, de pratiquer sa religion dans la sphère privée de son foyer. Parce que la société québécoise est une société laïque, ceci étant une des facettes du socle identitaire commun québécois.

Et avant qu’on ne m’accuse de persécuter certaines religions non occidentales, j’applaudis également des deux mains la décision en septembre dernier du Tribunal de la Personne ordonnant de cesser la tradition qui consistait à débuter tout conseil municipal de la ville de Laval par une prière (de la religion catholique romaine) [10]

D’autre part, l’autre gros problème avec la rectitude politique est qu’elle pose une morale dualiste reflétant une vision manichéenne des choses : il y a d’un côté une victime et de l’autre un coupable. La victime étant évidemment la minorité devant le coupable qui est donc la majorité. Une amie québécoise appelons-la Denise me racontait l’histoire suivante récemment : « la façon dont je vois les choses par rapport à l’immigration, c’est un peu comme si j’avais accueilli chez moi des étrangers. Deux heures plus tard, je m’aperçois que certains d’entre eux souvent une minorité mais les plus bruyants ont repeint d’une autre couleur mon salon sans m’en parler ! Pour se justifier, ils me disent que je leur avais garanti la liberté d’expression chez moi. Après un moment de surprise, la rectitude politique m’empêche de dire ce que je pense réellement de cet abus de droits. Surtout que je passerai pour la raciste et évidemment la grosse méchante qui harcèle le pauvre immigrant. Le lendemain, ils ont sacré tous mes meubles dehors et mis les leurs dans la maison en disant que ça fait partie de leur religion. C’est à ce moment précis que j’ai eu mon voyage : je ne veux plus rien savoir des immigrants. »

J’ai longtemps hésité à vous rapporter cette histoire. Probablement que vous la trouverez simpliste mais, à tout le moins, elle a le mérite de ne pas pratiquer la langue de bois. Et qu’elle démontre non pas la fermeture de certains québécois à l’immigration mais plutôt un certain découragement après avoir tenté de comprendre, d’écouter, de respecter et d’accueillir. À titre d’immigrant, il paraît que je n’ai pas le droit de me plaindre de la rigueur de l’hiver sous peine de passer pour un maudit français. Alors que si c’est un québécois, ce n’est pas pareil. À contrario, il paraît qu’un québécois ne peut pas émettre une « certaine réserve » face aux abus de certains immigrants : il passerait alors pour un raciste nationaliste conservateur extrémiste. Si tel est le cas, c’est pour Denise et bien d’autres québécois que j’ai écrit cette chronique car beaucoup d’entre eux ont renoncé à comprendre et accueillir. Mais rien n’est perdu, loin de là : ça dépend que de nous, immigrants comme québécois, de rétablir le dialogue.

[5] économiste et écrivain libertarien
[6] http://www.cyberpresse.ca/article/20060924/CPACTUALITES/60924062/6139/CPACTUEL
[7] http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2006/10/11/005-demissions-executif-pq.shtml
[8] http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=102
[9] http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2006/10/11/002-Quebec-accomodements.shtml
[10] http://www.cyberpresse.ca/article/20060922/CPACTUALITES/60922293/6048/CPACTUALITES

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