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Culture ou écononie?

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– Quel prix à payer pour quelle distinction ? –

L’espace public québécois a largement été dominé par les débats identitaire et linguistique ces derniers temps. Ce qui, en soi et de manière générale, fût et reste une bonne chose. Mais cette grande visibilité a occulté un facteur important de ces mêmes débats : l’économie. Heureusement, le risque de récession aux Etats-Unis – notre client n°1 – vient nous le rappeler.

Les avertissements n’ont pourtant pas manqué : Manifeste des Lucides, vieillissement de la main-d’œuvre, pénurie de travailleurs qualifiés, crise dans les secteurs forestier et manufacturier, etc. Et dans des débats identitaire et linguistique souvent très abstraits et idéologiques, ces rappels très concrets font du bien. Car dans notre système économique, la création de richesses est LE déterminant de bien des choses. En clair : sans richesses, difficile de pérenniser un modèle québécois. C’est-à-dire une société culturellement distinctive pouvant s’échanger, se partager et s’épanouir au travers d’une langue commune.

On oppose souvent culture et économie, comme si la valeur de la première ne pouvait s’évaluer à l’aune de la seconde. L’éternel dilemme entre la tête et le cœur. La raison et la passion. C’est latent : il suffit par exemple de prononcer le mot « privatisation » pour que des boucliers se lèvent pour dénoncer une américanisation de la société québécoise, si fière de son approche progressiste. Pourtant, culture et économie ont fait très bon ménage dans un seul et même discours pendant des décennies au Québec. Sans créer de tollé général, bien au contraire : c’est justement ce qui a permis la survivance identitaire et linguistique du Québec.

Dans les années 60, la quasi-absence d’élites financière et intellectuelle et la pauvreté du tissu industriel francophones explique pour beaucoup la volonté de redevenir « maîtres chez nous » de Jean Lesage. La Révolution Tranquille fût donc ce vaste processus de « québécisation » de larges pans de la société québécoise tant l’écart – ou le retard – à combler avec les canadiens-anglais était grand. Ce nationalisme économique visait la pleine réappropriation des québécois comme nation. Maîtriser ses propres leviers économiques (Hydro Québec, Caisse de Dépôt et de Placement) afin de protéger un fond culturel commun (création des cégeps, Régie du cinéma, Loi 101).

La légitimation de ce nationalisme économico-culturel pouvait en plus s’appuyer sur le fait que l’obstacle à cette émancipation était alors bien identifié : le canadien-anglais, porteur d’une culture et d’une langue. Un ennemi bien reconnaissable avec une ligne de front bien claire, dirait sûrement un militaire. L’immigration, encore faible à l’époque, ne pouvait encore jouer un rôle significatif.

Et aujourd’hui ?

Il y aura toujours place à l’amélioration mais il est évident que le Québec jouit d’une économie développée que les québécois francophones se sont bien appropriés. Que ce soit des entreprises (Vidéotron, Bombardier) ou des élites économiques, intellectuelles ou artistiques (ex : Henri-Paul Rousseau, Fernand Dumont, Jacques Ferron, Victor-Lévy Beaulieu). On pourra toujours discutailler sur la solidité de l’économie québécoise mais il n’en reste pas moins que l’époque où l’horizon professionnel du canadien-français se limitait aux seuls métiers d’instituteur, de prêtre ou d’ouvrier est révolu.

En outre, sur le plan culturel, l’obstacle canadien-anglais est beaucoup moins évident. Les lignes de tension sont moins marquées qu’avant. Ceci ne voulant pas dire qu’elles ont disparues : ce qu’elles ont perdu en clarté, elles l’ont gagné en subtilité. Et c’est logique : la culture québécoise s’est épanouie, conquérant de ce fait tout un espace par son renouvellement en musique, littérature, cinéma, arts de la scène, peinture, etc. C’est le premier point.

Le second point est que d’un rôle mineur, l’immigration a pris une place beaucoup plus importante dans la société québécoise. Et c’est un point important : ça signifie qu’à la place du bloc homogène du canadien-anglais a succédé l’ensemble plus hétérogène que constitue par nature une immigration diversifiée. Si le québécois pouvait se définir clairement face au canadien-anglais (langue, religion), il en est tout autrement quand c’est plusieurs langues et cultures. Et même quand il partage la même langue (ex : maghrébins francophones) ou la même religion (ex : hispanophone catholique), ce n’est pas évident !

Le nationalisme économico-culturel, dans son discours classique, se justifie donc beaucoup moins aujourd’hui. Surtout quand l’identitaire québécois s’est enrichi, avec le temps, de l’apport des communautés culturelles : à la mobilisation qu’a suscité le « maîtres chez nous » de Jean Lesage en 1962, le Nous québécois de Pauline Marois en 2007 s’est aussi fait répondre : c’est qui Nous ?

Par ailleurs, contrairement aux canadiens-anglais avec qui le Québec entretient des griefs historiques, il n’a aucun passif du même ordre avec les communautés culturelles. Et contrairement à une époque où l’injustice des disparités économiques frappait seulement les francophones, ces mêmes inégalités concernent essentiellement les immigrants aujourd’hui. Et enfin, contrairement aux canadiens-anglais qui avaient historiquement une attitude assimilatrice à l’égard des québécois, l’immigrant n’a aucune visée de ce genre avec la société québécoise.

Autrement dit, ce qui dans le discours nationaliste économico-culturel se justifiait – et se justifie encore sur plusieurs points – à l’égard des canadiens-anglais ne l’est pas nécessairement à l’égard des immigrants. Même s’il existe un même danger : la dilution du fond culturel québécois. Mais c’est là un risque que le Québec devra toujours gérer, avec qui que ce soit. L’important ici est de ne pas céder à la tentation de remplacer le canadien-anglais par l’immigrant pour une certaine frange du nationalisme québécois en mal d’ennemi bien identifié.

Et comme si ce n’était pas suffisant – c’est là son paradoxe – plus le discours nationaliste économico-culturel fait des gains concrets pour le Québec, moins il se justifie aux yeux de bien des gens, en particulier auprès de l’immigrant. Exigeant d’ailleurs de ce dernier une curiosité de plus en plus élevée pour bien saisir les luttes identitaire et linguistique se jouant désormais en filigrane (s’il ne veut pas tomber, par paresse ou par complaisance intellectuelle, dans les prises de position simplistes du fédéralisme niais ou du souverainisme étroit).

Ainsi, pendant longtemps, la culture a été le moteur pour développer l’économie jusqu’à un certain point où toutes deux se sont bien portées. Mais aujourd’hui, pour plusieurs raisons – démographique entre autre mais pas seulement – l’économie va atteindre un certain plateau qui rendra encore plus aigue l’obligation de faire un choix : que privilégier pour assurer l’avenir de la société québécoise ? Comme l’écrit très bien le chroniqueur politique Michel David, que faudra-t-il sacrifier si les impératifs de croissance auxquels est condamné le Québec à moyen terme deviennent incompatibles avec la protection du français ? La culture ou l’économie ?

Déjà, on nous annonce un bogue de l’emploi pour 2012. Et dans un Québec massivement orienté vers l’économie du savoir qui exigera des travailleurs qualifiés, a-t-on le droit d’empêcher des allophones d’aller dans un cégep anglophone ? Au nom de la défense du fait français ? Certes. Mais est-ce que l’économie québécoise n’en souffrira pas à terme ? Mais de l’autre côté, laisser aller sans réagir, n’est-ce pas la société québécoise, cette fois, qui en souffrira à terme ?

Culture ou économie ? Ou l’histoire de l’œuf et de la poule.

Personnellement, je choisis l’économie. Mais à petites doses homéopathiques et aussi parce que c’est un sujet beaucoup moins émotif que la culture.

Une chose est sûre : bétonner mur à mur le Québec par la loi 101 est ni réalisable ni souhaitable. Parce que si une loi suffisait à renverser une réalité socioculturelle, ça fait longtemps qu’on le saurait. Et sortir la grosse artillerie se justifiait pleinement en 1962, quand il y avait toute une côte à remonter. En contexte de mondialisation, non seulement ça ne se justifie plus mais ça serait stupide. Aujourd’hui, je suis plutôt partisan pour des mesures ciblées, bien localisées. Cela permettrait à l’économie québécoise de garder une certaine souplesse dans un environnement devenu très concurrentiel tout en lançant le message clair qu’elle veut préserver sa principale culture.

Voici quelques idées.

Ajuster le budget alloué au programme de francisation pour immigrants allophones à la demande. Histoire d’être cohérent entre les paroles et les actes. Surtout que la francisation ne se limite pas qu’à enseigner le français : ce sont aussi plusieurs activités qui en font aussi un programme d’intégration.

Mettre les bouchées doubles dans la réforme de l’éducation aux adultes. Sachant que nous parlons ici de formations à courte durée et que la majorité des emplois à combler exige une formation professionnelle (DEP, AEC, DEC Technique), voilà un domaine de formation qui plaît particulièrement aux immigrants.

Accentuer les efforts de reconnaissance des acquis des immigrants mais c’est là un effort très vaste, qui ne peut se jouer qu’au niveau structurel, et qui est loin de se limiter – comme j’ai déjà pu le lire sur le forum – qu’à la seule action/responsabilité/faute des ordres professionnels.

Se repencher sérieusement sur la nécessité ou non d’étendre au collégial l’obligation de suivre une scolarité pour les immigrants. Je n’ai pas encore d’opinion claire à ce sujet car je suis plutôt d’avis d’investir davantage justement aux niveaux primaire et secondaire (ce que semble avoir enfin compris Mme Courchesne, notre ministre de l’éducation).

Revoir la politique d’aide et de soutien aux régions pour qu’elles puissent réellement améliorer leur productivité au lieu de ne cibler que la pure création d’emplois. Là aussi, vaste projet mais dont les retombées faciliteraient sans aucun doute l’immigration en région.

Intéressant donc de voir notre Premier Ministre Jean Charest concentrer davantage son discours sur les aspects économiques. Mais voyez-y aussi du réalisme idéologique : en tant que fédéraliste, il sait qu’il ne pourra jamais aller aussi loin que le PQ et l’ADQ sur le terrain de l’identitaire nationaliste québécois. On appelle cela du recentrage sur son core business.

La cheffe du PQ justement, Pauline Marois, a enfin délaissé quelque peu le débat identitaire pour annoncer clairement son intention de proposer des mesures économiques pour créer de la richesse.

J’applaudis à tout cela car je suis convaincu que c’est en créant un environnement économique plus compétitif qu’on va rendre le français et la culture québécoise plus attrayants auprès des immigrants. C’est un peu le principe des externalités : crée de la richesse et cela peut avoir des retombées positives à terme dans d’autres sphères de la société. Comme la culture, la langue et ultimement, l’identité.

Choisir l’économie, ce n’est pas rejeter la culture. Au contraire : c’est prioriser la culture à l’économie. Pourquoi ? Car je vois très difficilement comment une politique culturelle très forte – c’est-à-dire jouant sur le nationalisme au point de freiner la croissance économique – peut assurer la pérennité de la société québécoise aujourd’hui. Que ferait l’immigrant d’une forte et riche culture québécoise si cette dernière ne lui met pas trois repas par jour sur sa table ? Par contre, en travaillant à lui mettre d’abord ces repas sur sa table, on augmente nos chances qu’il reste ici. Pour qu’il s’achète une maison, fonde une famille, écoute la télévision et la radio d’ici.

Je le répète : Tout est question de dosage. De toute façon, nous avons des gestionnaires comme leaders politiques aujourd’hui. Autant donc jouer la carte de l’économie en restant vigilant : il ne faudrait pas que cela devienne une fin en soi au point d’hypothéquer le caractère distinctif québécois. Ou comment obtenir l’effet exactement inverse de celui recherché. Et souhaiter que des leaders politiques charismatiques émergent de nouveau. Prenez Pierre-Elliot Trudeau : piètre dirigeant sur le plan économique mais grand visionnaire de l’identitaire canadien. Et si l’Histoire se rappellera de René Lévesque comme, notamment, l’artisan de la nationalisation de l’hydroélectricité, on retient surtout son rôle de celui qui a su rappeler aux québécois qu’ils étaient « peut-être quelque chose comme un grand peuple ».

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