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Le conservatisme social

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L’univers mythologique canadien de l’ère moderne accorde une place particulière à l’immigration. Ce qui peut, à première vue, surprendre dans la mesure où le Canada est un endroit qui s’est essentiellement construit par l’immigration. On peut donc s’étonner de voir l’immigration n’y recevoir une reconnaissance bien spécifique que depuis quelques décennies. On saisit mieux de quoi il en retourne lorsqu’on comprend qu’il ne s’agit pas ici de n’importe quelle immigration : on parle ici des immigrants « ethniques », ceux issus de ce qu’on appelle les minorités visibles. C’est-à-dire celle qui depuis les années 70 provient d’ailleurs que de l’Angleterre ou des États-Unis et de manière générale, d’ailleurs que de cet Occident caucasien, de tradition chrétienne et élevé dans la démocratie et la laïcité.

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de rappeler ici un trait d’ironie dont l’Histoire sait si bien nous en réserver parfois. Si la politique du multiculturalisme de Trudeau est définitivement à l’origine de ce repositionnement idéologique de l’immigration dans l’univers mythologique canadien et si elle semble correspondre si parfaitement à cette représentation que l’on peut se faire aujourd’hui de l’immigration dans un contexte de pluralisme culturel, cette fameuse politique fût pourtant, à l’origine, destinée à honorer la contribution importante des immigrants … d’origine caucasienne, de tradition chrétienne et en provenance de pays occidentaux.

Bien sûr, aujourd’hui, quasiment tout le monde a oublié cela. Or, il suffit de regarder les statistiques de Citoyenneté et Immigration Canada à l’époque où fût lancée la politique du multiculturalisme (c’est-à-dire à la fin des années 60) pour constater que ces fameux immigrants dit ethniques ne représentaient à l’époque qu’un faible pourcentage du volume total d’immigration annuelle au Canada. Ici, on a donc le choix de la conclusion à en tirer : soit on peut faire preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle en se disant que la représentation qu’on se faisait du multiculturalisme à l’époque avait si peu à voir avec l’exotisme, la diversité culturelle et l’ethnicité ; soit on peut faire dans la mauvaise foi et se dire que Trudeau fût vraiment un très grand visionnaire, anticipant – sans même s’en rendre compte lui-même, c’est dire – le visage que prendrait l’immigration canadienne quelques décennies plus tard.

Depuis Trudeau donc, l’immigrant si ethniquement exotique est désormais investi d’une puissante aura symbolique, élevé au rang d’icône de la diversité culturelle emblématisant l’universalisme canadien en matière d’ouverture et d’égalité. Se construit donc depuis quarante ans une véritable rhétorique à la fois politique et idéologique dont l’objectif est d’associer étroitement immigration, pluralité culturelle et progressisme canadien. Aujourd’hui, on ne peut que reconnaître l’efficacité de ce puissant travail de reformatage des représentations sociales reliées à l’immigration et au pluralisme culturel : on ne compte plus aujourd’hui les reportages télé, les émissions radio ou encore les articles de journaux ne cessant de nous vanter les bienfaits de l’immigration en termes de diversité culturelle, d’échanges d’idées, de changement de perspective, etc. Montrer un immigrant français bon teint mangeant une poutine ou une immigrante australienne faisant de la raquette, ça ne fait pas très « exotique » ni très « diversité culturelle ». Même si tous deux sont aussi des immigrants, comme s’il y avait deux types d’immigration : celle « officielle » qui a bien reçu sa carte de résident permanent et l’autre, la « vraie », celle qui fait vraiment immigration avec ses belles peaux basanées, ses cheveux noirs, ses vêtements chatoyants et sa cuisine si délicieusement exotique. Tout ça pour dire que l’immigration est étroitement associé dans nos représentations – au Canada et au Québec – à une certaine idée de l’ouverture, du pluralisme et à certaines valeurs progressistes.

Dans ces conditions, on comprendra que le Parti Libéral du Canada (PLC), à l’origine de la politique du multiculturalisme, soit celui qui ait le plus profité du vote issu de l’immigration et des communautés culturelles. Or, il semblerait que le parti politique actuellement au pouvoir à Ottawa – le Parti Conservateur du Canada (PCC) – voit aussi dans l’immigration un nouveau bassin d’électeurs. Non pas en lui vendant des valeurs d’ouverture, de pluralisme culturel et de progrès social mais plutôt presque le contraire : des valeurs de stabilité, de tradition et de conservatisme en termes de représentation de la famille, de la division sexuelle du travail et bien entendu du mariage.

Le pari politique est un peu risqué mais audacieux. L’objectif ici est de viser l’immigrant en provenance généralement de pays en émergence dont les valeurs sont plus « traditionnelles » pour qui le mariage est strictement l’union de deux personnes de sexe opposé, pour qui la place de la femme est exclusivement à la maison, pour qui l’ordre public, la morale et de bonnes mœurs sont les piliers de la vie en société. Bien sûr, c’est une conception très stéréotypée des immigrants des pays en question. Mais on retiendra surtout ici la tentative de renversement complet de la position historique de l’immigration dans l’univers mythologique canadien. L’ambition n’est pas mince : en effet, c’est tout un édifice idéologique construit depuis plusieurs décennies organisant un ensemble de valeurs culturelles importantes du Canada actuel que le PCC veut réformer ici. Il s’agit là de conservatisme social qu’il faut distinguer du conservatisme économique : le second porte son intérêt uniquement sur une transformation des rapports économiques – en prônant un interventionnisme étatique réduit et le libre-marché – sans étendre sa réflexion au niveau des valeurs et de la morale. L’illustration la plus éclatante de cette distinction au Canada se retrouve probablement dans la croissance du Wild Rose Alliance dans le paysage politique albertain. Ainsi, si sa cheffe Danielle Smith est un pur produit du libertarisme économique, elle a toutefois l’intention de maintenir le statu quo actuel en matière de droit à l’avortement et des droits des gaies si elle prend un jour le pouvoir en Alberta.

Il y a peu de chance que la stratégie des conservateurs fonctionne véritablement auprès des immigrants issus de pays en émergence : plus que les bonnes mœurs ou une morale plus traditionnelle, ces derniers – comme tout immigrant – recherchent des conditions économique, politique et sociale stables pour pouvoir vivre en sécurité et prospérer. Autant d’éléments qui existent déjà de manière générale au Canada et ce, quelque soit l’orientation politique du parti au pouvoir à Ottawa. Mais le simple fait d’envisager de pouvoir modifier les représentations historiquement associées à l’immigration depuis des décennies semble refléter la rapidité des transformations que connaît l’immigration canadienne depuis quelques années.

Pour finir, avez-vous vu ce récent sondage sur la perception de l’immigration auprès d’un échantillon de canadiens ? Les québécois, ces supposés sectaires racistes et xénophobes, seraient avec les britannico-colombiens les plus nombreux au Canada à percevoir l’immigration de façon positive. Bonne rentrée.

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