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Carnet de Bord : C’était le…

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Carnet de Bord :

C’était le début d’une magnifique soirée d’été. J’étais assis tranquillement sur ma terrasse à ne rien faire si ce n’est que de contempler l’horizon se confondre avec l’océan . Me complaisant égoïstement dans ma solitude, je m’offrais en spectacle ce superbe coucher de soleil qui inondait artistiquement le ciel de ses couleurs primaires et écarlates.
J’écoutais le silence, regardais au loin, et c’est les yeux perdus, hypnotisés par tant de beauté, que je repris mes esprits et ouvris le Carnet de Bord de famille. C’est ainsi que l’avait appelé mon arrière grand-père, Thomas Reilly.
Thomas avait quitté son Irlande et sa ville de Tralee à l’age de 15 ans pour embarquer à bord d’un navire marchand en partance pour le Canada. À l’époque les échanges trans-atlantique n’en étaient qu’à leurs débuts et l’essentielle des cargaisons etaient humaines, déversant généreusement leurs flots d’immigrants partis pour le Nouveau Monde. Comme des milliers avant lui, il débarqua à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le jour même il se fit immatriculer par les autorités, et comme pour dire adieu il jeta un dernier coup d’œil à l’Atlantique et prit la route de l’Ouest pour gagner le Pacifique.

Après deux mois de voyage et d’errance, c’est en solitaire et un sac de toile pour seul compagnon qui s’installa en 1870 sur l’île de Bowen, à quelques encablures de Vancouver. Son éloignement relatif de la cote en faisait un parfait refuge pour le jeune timide qu’il etait et ce rocher, posé entre ciel et mer, ressemblait un peu son Irlande natale. Tout y était beau et vert, un lac de turquoise s’y perdait en son centre, niché au milieu d’une chaîne de collines, les plages étaient recouvertes de galets et de sable gris, et l’écume y etait aussi blanche qu’au pays. Il s’y sentit bien tout de suite.

Ils étaient une centaine à s’y être installés, formant ainsi une petite communauté vivant de la pêche ou la boiserie et de leur commerce avec la ville. Thomas, apprit le métier sur le tas, et il ne lui aura fallu qu’une seule saison pour devenir un marin émérite. Il avait apprivoisé les courants et les vents dominants. Son bateau avait fière allure et ses pêches, pensa-t-il, tenaient du miracle . Le large détroit que forme l’Ile de Bowen avec le continent est le passage obligé pour des milliers de poissons. Les morues et autres harengs y côtoient les saumons qui machinalement remontent les courants de ce fjord pour aller tous les ans, à l’automne, retrouver les rivières oû ils avaient vu le jour. C’est heureux et avec les filets pleins qu’il regagnait toujours sa cabane.
Au fil des années, il était devenu un homme prospère vivant de sa pêche et de son commerce avec le continent. Il vivait paisiblement sur son île comme le Lord Anglais qu’il ne serait jamais devenu et rien ne semblait manquer à sa quiétude. C’était sans compter le regard de Ruth Finney, qu’il croisa quelques années après sur les quais de Snug Cove, devenu le port et le centre administratif de l’île. Le premier dispensaire de Bowen avait ouvert depuis un mois et Ruth avait quitté le continent pour y travailler comme aide-soignante. Elle était jeune et belle et comme lui venait de nulle part. Il se mariérent quelques temps après pour donner naissance à un fils, Ryan, mon grand-pere.

Ryan grandit entre l’ile et la cote aux gres des vagues et des marées. Accompagnant son père à chaque traversées il apprivoisa tres vite la mer et se découvrit une vocation qui devait le conduire des années plus tard à l’école des Arts et Techniques de Vancouver pour y devenir officier mécanicien. Il en ressortit avec les honneurs et ses gallons et c’est sans peine qu’il fut engagé par la Steamship Company, une des premières compagnies maritime de la région Mon grand-père quitta alors Bowen et c’est à bord du North Star, bateau-cargo qui reliait Vancouver au nord du pays, qu’il servit pendant plus de 20 ans. Au tournant de ce siècle, la ruée du Klondike et les immenses richesses minérales de la province avaient fait pousser tout au long de la cote des dizaines de bourgades. Elles servaient de comptoirs et de postes de ravitaillements pour les navires marchants croisant au large. La cote Ouest etait pour lui le plus bel endroit au monde. Qu’il soit en fond de cale a huiler la mécanique ou sur le pont à regarder l’horizon, Ryan, profondément croyant, pensait que seul Dieu avait pu façonner de ses mains un tel paysage.
Les Rocheuses dominaient de leur immensité l’océan pour s’y jetaient avec grâce et venaient narguaient du haut de leurs falaises les centaines d’îlots qui s’ètendaient à perte de vue. Ces archipels, caprices géologiques de cette nature généreuse, offraient ainsi un refuge aux quelques navires remontant le fjord et il n’était pas rare que certains d’entre eux y jettent l’ancre pour profiter de leurs baies à l’abris des vents et des tempêtes. Par beau temps, le bleu du ciel
venait se confondre avec l’océan qui reflétait les cimes verdoyantes des montagnes surplombant
des golfes ou régnaient le calme et l’harmonie. Le spectacle était superbe et Ryan en était convaincu : Dieu seul avait pu concevoir un décor d’une telle complexité et d’une telle beauté.

Naviguant des jours entier sans quitter le navire, Ryan ne rencontrait pas grand monde. Sa vie était faite de solitude entrecoupée de haltes qu’il occupait par quelques promenades sur les quais des entrepots. Un jour, le North Star de retour des côtes yukonaises, fit une halte à Prince Rupert, petit port paisible perdu au nord de la province. Ryan, lasse de longues semaines de travail, se retrouva au comptoir du King’s Arms, la seule et unique auberge du coin. Molly, la serveuse, le devisagea avec toute la passion du monde et il ne suffit que d’une nuit pour que mon grand-père veuille l’aimer et la revoir. Ils ne se marierent jamais mais de cette nuit d’amour naquit mon pere. C’était en 1929, et la crise économique qui ravageait les Etats-Unis allait pourtant etre salutaire pour la Steamship Company. Le New Deal et ses grands travaux avaient un grand besoin de matiéres premieres et les richesses naturelles dont la Colombie Britannique regorgeait representaient une mâne inesperée pour la province. Le North Star fut alors affecté sur la ligne
Stewart-Portland, et ainsi au hasard des haltes Ryan pu fréquemment voir son fils et la femme qu’il aimait.

Le Pacifique porte bien mal son nom et c’est à l’aube de la seconde guerre mondiale que le North Star fut emporté par la tempête et sombra au large de Seattle. On ne retrouva jamais l’épave et c’est au milieu de rares photos et de quelques récits que Terry grandit et se forgea le souvenir de ce pere abscent. Mon père n’ayant rien connu d’autre que Prince Rupert voulut très tot s’engager dans la Marine. Il voulait voir du pays et savait qu’il était destiné, à vivre au gres des vagues. C’est avec toute la tristesse d’une mère aimant son fils que Molly le laissa donc partir pour Victoria, capitale de la province et port d’attache de la flotte du Pacifique.

Après six mois de formation intensive Terry fut affecté au HMCS (Her Majesty’s Canadian Ship)
Shawinigan en qualité de Matelot-Chef et quelques temps après son affectation son bateau fut envoyé au large de la péninsule Coréenne. La guerre y faisait rage et le Canada s’était engagé à aider les Nations Unis en mettant à sa disposition quelques-uns de ses navires. Terry passa ainsi un an à sillonner la Mer de Chine aux sons d’Elvis Presley sans qu’il ne regrette Prince Rupert et ses fjords perdus et oubliés de Dieu.

Lors d’une de ses permissions, il fit la connaissance de Hea. Hea, jeune et belle coréenne, travaillait comme traductrice au centre de commandement du détachement Américain. Terry l’avait croisée dans un bar et en tomba amoureux au premier regard. Il l’épousa sur place et bien que ses parents soient contre cette union, elle quitta sa Corée pour partir avec mon père s’installer définitivement à Victoria où je vis le jour quelques années plus tard.
Ses années au service de la Marine lui firent connaître toutes les mers du globe mais dès que son bateau rentrait de mission c’est avec joie qu’il retrouvait son Pacifique. Nous partions souvent avec lui des journées entières sur le voilier qu’il avait acheté d’occasion pour aller naviguer au large. Nous aimions cet océan et nous étions heureux.
Après presque 30 ans de bons et loyaux services il quitta la Marine avec le grade de Lieutenant de Vaisseaux, ce qui devait lui assurer une retraire confortable. Mes parents achetèrent alors un pavillon à Deep Cove en banlieue de Vancouver pour y écouler leurs vieux jours. Mon père passa ainsi le reste de sa vie à pêcher et sillonner les iles de la côte comme son grand-père l’avait fait avant lui.

J’aimais l’océan et l’humilité qu’il enseigne, et mon enfance maritime devait à jamais marquer ma vie. C’est par passion que je m’inscris à UBC (University of British Columbia) pour y étudier la biologie marine. Je m’étais spécialisé dans l’étude comportementale des mammifères marins et une fois mon diplôme en poche, je pris la route pour Telegraph Cove afin de travailler sur un rapport que le ministère fédéral de l’environnement voulait que je conduise. Finalement j’y suis resté.
Telegraph Cove est un hameau d’une centaine d’ames perdu à l’extrême nord de l’île de Vancouver. Ce minuscule point sur la carte tire son nom de son histoire récente. Au début du siècle on y avait achevé la première ligne de télégraphe reliant Victoria au reste de l’île, réduisant du coup l’isolement des insulaires avec le reste du monde. C’est là qu’au printemps les baleines bleues et les orques élisent domicile pour se reproduire. Sans que l’on sache encore exactement leur nombre, ils viennent des quatre coins du Pacifique pour donner naissance à leurs prochains dans les eaux froides et profondes de cet océan, a quelques miles de la cote.
Bien que mon sonar soit un des meilleurs, il n’est pas facile de les approcher et les voir n’est qu’une question de patience que je contiens en contemplant ce monde qui m’appartient.
Mais quelle récompense quand je vois au loin les premières queues jaillir de l’eau. Le spectacle est magnifique, surprenant de beauté. À chaque fois qu’ils font surface ces mammifères viennent par leur grâce et leur aisance narguer la gravité. Leur corps jaillissent alors de l’eau en une verticale presque parfaite et c’est en l’air, que ces les baleines et ces orques se vrillent sur eux mémes et retombent sur le dos dans une gigantesque gerbe d’écume. Tout n’est que communion et volupté. La nature y est superbe et se conjugue de milles et une beautés….

J’ai appris à aimer cet endroit, ce bout du monde et jamais je ne le quitterais. J’y suis bien et je sais qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour clore ce Carnet de Bord. Le soleil s’était couché pour laisser place aux étoiles et en refermant ce journal je repensais à ce poeme qu’avait écrit un certain Baudelaire:
“Homme Libre Toujours tu Cheriras La Mer”

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