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Un pas dans la bonne direction

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La publication du nouveau guide de l’immigrant de CIC est la nouvelle de l’heure dans le domaine de l’immigration. Beaucoup ont souligné, avec raison, la vision plus réelle qu’il offre du Canada, n’en faisant plus le Pays des Merveilles que l’ancienne version se plaisait à dépeindre. J’apprécie aussi la plus grande place faite au Québec. Selon la sensibilité politique de chacun, on trouvera cette place trop grande, juste suffisante ou définitivement incomplète. Pas de fine bouche : quiconque minimalement informé sait que la reconnaissance de la nation québécoise est purement symbolique mais elle figure au moins dans ce guide maintenant. Le symbole, dans tout ce qu’il a d’abstrait et de philosophique, est parfois le premier pas incontournable et nécessaire pour paver le chemin vers le concret et le tangible.

Mais ce nouveau guide est intéressant pour autre chose aussi : il propose un début de redéfinition du multiculturalisme canadien. Rien que pour ça, c’est un pas dans la bonne direction pour qui, comme moi, considère que l’actuelle politique multiculturaliste est un mur vers lequel le Canada fonce à toute allure. Je ne répéterai pas ici mon argumentaire expliquant ma position : on la trouvera largement développée dans plusieurs papiers précédents. Cette réorientation se manifeste dans la volonté du gouvernement fédéral de cerner plus précisément les contours du multiculturalisme : par exemple, les « pratiques barbares » ou les « crimes d’honneur » sont explicitement proscrits. Je salue cet effort d’un « multiculturalisme conditionnel » qui rejoint l’idée développée dans mon papier précédent où il me paraît urgent que le Canada assume pleinement sa conception de la liberté qui doit être tout sauf un chèque en blanc.

Par ailleurs, cette redéfinition du multiculturalisme canadien n’est pas sans rappeler l’exercice de la Commission Bouchard-Taylor mené au Québec l’an dernier : derrière la question des accommodements raisonnables, c’était en effet l’interculturalisme québécois qui était interrogé. Des louanges, adressées à cette commission, exprimaient la capacité de la société québécoise à mener un exercice aussi délicat de manière démocratique et pacifique. Malgré la grosse couche de vernis politiquement correct dans laquelle fût engoncée cette commission, je partage cette analyse. D’autres réactions y voyaient au contraire une nouvelle manifestation de la confusion identitaire du Québec, cette société francophone empêtrée dans son passéisme et ravivant chroniquement ses peurs et xénophobies. On invoquait alors, en guise de preuve « incontestable » de ce nombrilisme identitaire québéco-québécois, l’absence d’un tel débat dans le reste du Canada, sous-entendant par là que ce dernier assumait donc sereinement son multiculturalisme.

Dans ce cas, comment interpréter la nouvelle mouture du guide de l’immigrant ? Si le multiculturalisme canadien, élément historiquement structurant de l’identité canadienne, est réellement l’acceptation de toutes les cultures, comment analyser le rejet explicite de toute « pratique barbare » si ce n’est en y voyant une volonté de placer des balises, tracer des contours, déterminer des frontières ? N’est-ce pas là, de manière générale, exactement ce que messieurs Bouchard et Taylor ont tenté de faire à l’échelle de la société québécoise dans le cas des accommodements raisonnables ? On me dira : il y a pratique barbare et pratique barbare. Ce à quoi je réponds : il y a accommodement raisonnable et accommodement raisonnable. Car dans les deux cas, il y a recherche ou tentative – fondée ou pas – de tracer une ligne, aussi floue soit-elle. Dans ce cas, doit-on en déduire que le reste du Canada, au travers de son gouvernement, commence à sentir la nécessité d’actualiser son approche de l’intégration culturelle de son immigration … Tout comme l’a réalisé, depuis longtemps, le Québec ? Si oui, d’une société « arriérée », « à la remorque » et « anachronique à l’heure de la diversité culturelle », le Québec ne serait-il pas plutôt une société capable d’une certaine anticipation, aux avant-gardes et sensible aux tendances socioculturelles ?

Ainsi, tout comme le Québec, le reste du Canada serait désormais traversé par des tressaillements identitaires et ressentirait le besoin, tout doucement mais sûrement, de tracer aussi peu à peu les frontières de ce qui est « barbare » de ce qui ne l’est pas. Certes, le reste du Canada n’a pas formellement mobilisé une Commission et embauché deux « sages » pour faire une tournée de la Confédération. Ceci dit, la liste des intellectuels sollicités (auteurs, personnalités politiques, chercheurs, etc.) s’apparente drôlement à une sorte de conseil des sages chargé d’alimenter la réflexion du gouvernement à ce sujet. Certes, l’exercice au niveau fédéral semble se passer apparemment et pour le moment sereinement contrairement au défouloir médiatique qu’il a connu au niveau québécois. Il y a définitivement des différences d’ordre culturel, linguistique, politique ou encore démographique dans la gestion d’une question sociale (sinon, on ne nous rappellerait pas aussi souvent la différence entre le Québec et le reste du Canada …). Et j’ai déjà maintes fois souligné, comme tant d’autres avant moi, que le poids numérique du Canada anglais lui permet de repousser pour encore un peu plus tard sa propre Commission Bouchard-Taylor. Ceci étant, il n’en reste pas moins qu’il y a au fond la même volonté : préciser désormais les contours de ce qu’il est entendu par intégration culturelle de l’immigrant après une longue période « d’ouverture » dont on semble maintenant en deviner les limites. Québec et reste du Canada : même combat ?

Cela dit, peut-être qu’une autre hypothèse a votre faveur (exigeant cependant une certaine dose de malhonnêteté intellectuelle) : en effet, pour certains, « force est de constater » qu’un tel exercice mené au Québec est « sans aucun doute » l’expression d’une société « frileuse, inquiète et mal informée ». Ils poursuivront en disant que le même exercice mené au Canada est ici par contre l’expression « incontestable » de « son ouverture » ou de sa « capacité à s’actualiser ». Que l’on m’explique en quoi l’exercice mené par le canadien est signe de sagesse, de reconnaissance et d’acceptation alors que quand il est mené par le québécois, il est signe de repli identitaire, de racisme puant, de pensée simpliste ? Deux poids, deux mesures ? Pour qui exècre les approches polarisées, voilà un discours bien dichotomique : le monde n’est ni noir ni blanc et c’est moi le gentil canadien qui te le dit à toi, le méchant québécois. Ici, inutile de chercher l’erreur : elle sera toujours du côté de la société québécoise …

Certes, le code de vie d’Hérouxville fût très loin d’être un exemple de civilité, de nuance et de relativisme culturel. Cependant, comme tout signe d’exaspération sociale, aussi grossier et désordonné qu’il puisse apparaître, il me semble très dangereux de lever le nez de manière condescendante face à ça. Au contraire : une telle attitude – souvent le fait d’une élite autoproclamée, canadienne ou québécoise, « éclairée », « éduquée » et « sachant ce qui est bon pour le peuple » est d’un snobisme tout aussi repoussant que le racisme ordinaire qu’elle dénonce. Permettant en outre d’alimenter le mouvement d’exaspération sociale qui trouve en effet là une justification supplémentaire à son combat tant il ne sent pas écouté. Pourtant, si on est en mesure de distinguer l’essentiel de l’accessoire, il est très possible d’extraire du Code d’Hérouxville un ensemble très pertinent et révélateur d’évolutions sociales. Surtout que prendre le temps de faire ce travail, c’est en gagner autant pour ne pas se retrouver à défaire ce que des opportunistes, en mal de visibilité publique, sauront habilement s’en saisir à coup de slogans simplistes et réducteurs.

J’ai déjà régulièrement appelé de mes vœux un Canada s’emparant également du problème de l’intégration culturelle de l’immigrant en révisant profondément sa politique du multiculturalisme. Je ne suis donc pas dans une ligne de pensée du style « seul le Québec m’importe, que le reste du Canada se débrouille tout seul ». Au contraire : tout le monde y gagnera lorsque le reste du Canada vivra enfin son moment de « lucidité constitutionnelle » au regard plus particulièrement de sa politique multiculturaliste et de son pendant juridique, la Charte Canadienne des Droits et Libertés. Car, là aussi, quiconque de minimalement informé comprendra que toute révision, aussi poussée, lucide ou subtile soit-elle, du multiculturalisme canadien n’aura fondamentalement aucun impact dans notre quotidien tant et aussi longtemps que ne sera pas révisée la Charte Canadienne sur les plans juridique et constitutionnel. Car en dernier ressort, un conflit – en particulier ceux d’ordre culturel ou linguistique – finit toujours par trouver sa conclusion devant les tribunaux qui, eux, s’appuient sur les lois pour trancher et non sur un guide de l’immigrant. Le gouvernement fédéral et ses procureurs le savent que trop bien.

Une Politique, une Charte ou une Constitution, aussi respectueuse soit-elle de la condition humaine, ne la respecte justement plus quand elle s’avère incapable de tenir compte du caractère évolutif et dynamique de cette même condition humaine. On peut ainsi flagorner et continuer à gonfler le torse de faire partie d’un Canada ouvert et capable de s’actualiser – tout comme d’un Québec progressiste et culturellement diversifié – : il n’en reste pas moins que cela ne reste que puérilité car il n’y a aucun mérite à se vanter quand cela ne comporte aucun risque.

À vaincre sans péril …

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