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Un an après notre retour

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Un an après notre retour/immigration : une chanson à réponse

C’est moi qui démarre, Guinness, si tu le permets. De toute manière, tu as des restes charmants de galanterie et ton texte n’était pas prêt.

Il y a plus d’un an, voici ce que je vivais (version courte, j’ai pitié de toi, mon beau mari.. mais je l’aime bien, ce texte… et c’était tellement ce que je ressentais) :

“Bizarre comme le hasard fait bien les choses, des fois… Je suis à peine installée dans la voiture de location, ce 26 avril 2006, qu’une chanson envahie l’habitacle… Pas n’importe quelle chanson…Ariane Moffat semble chantonner mon vécu : “je reviens à Montréal, la tête gonflée de nuages”… Je ferme les yeux et je revois tout…
Je me revois contempler, le coeur serré, les yeux embués, le peu de poussière qui reste de notre vie en France, à moi (la québécoise), à lui (le français), à nos enfants (panachés), en me disant qu’il s’en fallut de peu pour que nous la secouions de nos sandales. Mais il reste nos amis, qu’on a l’impression d’abandonner lâchement mais dont l’affection indéfectible nous a porté dans nos projets… Je me revois caresser machinalement le petit être tapie dans mes flancs, comme pour le rassurer sur notre avenir. “Tout ira bien, tout ira bien”. Mais à qui m’adressais-je ?
Puis cette soirée d’adieux chez nos copains, dignement arrosée du fruit de la vigne et du travail des hommes . Ces silences au beau milieu des rires, lorsque la nostalgie profite lâchement de la marée montante des souvenirs. Ô Temps ! Suspends ton vol… Cette nuit presque blanche, ce petit déjeuner pris à la va-vite, le copain qui embarque le mari, et nos bagages dans une fourgonnette déglinguée.
– Vous me retrouvez à l’aéroport à midi, sans faute, hein ?
Comme si j’allais arriver en retard pour notre nouvelle vie, pour le retour à MA vie…
La copine qui se désole toute seule devant ses placards : “je n’ai rien pour vous faire un pique-nique…” T’inquiète, va ! Les séparations de ce type ont tendance à vous combler l’estomac en délestant un peu notre vie.
Je revois, dans la hall de l’aéroport, le regard suspicieux de la digne représentante de notre compagnie aérienne, qui darde mon nombril et me demande : “C’est pour bientôt ?” C’est dingue ce que j’ai envie de répondre en regardant ma montre “J’sais pas, deux ou trois heures…”, juste pour entendre l’éclat de rire de ma cohorte… Mais non, voyons… L’heure est grave. J’arbore mon sourire le plus niaiseux qui soit, en déclarant , faussement ingénue : “ Dans 2 mois !”. Ah, ben v’là que je me rajeunis de 3 semaines…
Et puis vient ce moment que je redoutais tant, baigné par un torrent de larmes que mon engueulade intérieure ne peut réprimer… L’amie s’éloigne, les épaules trop affaissées à mon goût. J’ai encore raté ma sortie…
Pour être franche, notre voyage m’a laissé que peu de souvenirs, juste ce petit goût salé d’embruns lacrymaux aux coins des lèvres et l’inévitable bêtise perpétrée par les affreux, grâce à une collation donnée par une hôtesse inconsciente… Ce goûter dont une partie finira sur le sol, une dans l’estomac jamais rassasié de nos deux petits monstres, et la dernière enfoncée dans les anciens cendriers des fauteuils, au nom de la science. (“je peux mettre ça là, maman ?”-“non, tu ne peux pas.”- scroutch !-“ben si ! Regarde, je peux : ça rentre !”). Il était écrit que j’allais passer le reste du vol, les mains crispées sur ces foutus cendriers, afin de cacher l’irréparable outrage aux yeux de l’hôtesse….La fin du vol approche. Je me tords le cou pour apercevoir au travers du hublot, le paysage tant espéré. Et là, comme mus par une bonté soudaine, les nuages s’écartent pour m’offrir une vue magnifique de l’Oratoire Saint-Joseph. “Bonjour, me revoilà, comme promis…” A la tête ahurie de mes voisins, je comprends que des larmes coulent le long de mes joues. Je profite lâchement du dernier passage de l’hôtesse pour m’essuyer sur sa jupe. Je pense mettre mise à dos toute cette profession. Définitivement.
Enfin, on se retrouve dans le hall de l’aéroport. Ma copine d’enfance doit être là, à m’attendre depuis des heures. La pauvre… Je lui avais pourtant bien dit que nous serions retardés par les formalités… Mais elle, avec son entêtement si touchant, n’avait eu de cesse de me répéter : “Je veux vous voir atterrir”.
Je la reconnais immédiatement. Elle m’avait fait l’amitié de ne pas changer après toutes ces années. Je referme mes bras autour de son cou et j’enfouie mon visage dans ses cheveux pour cacher une nouvelle fontaine de larmes. Bigre ! Je ne pensais pas qu’il m’en resterait après tous ces épanchements. Je suis pleine de “re-sources”…
Elle part avec mon français de mari pour récupérer les clés de notre véhicule de location.
Je reste plantée là avec les enfants, mon gros bide et mon sac à main bourré de papiers officiels. Je tends l’oreille pour me replonger dans la musique de mon enfance. J’ai presque envie de m’y noyer, tant je suis ivre de bonheur et de fatigue.
Mais enfin, au loin, je repère le dos large et rassurant de mon homme. “Ralliez-vous à mon panache blanc”, disait l’autre. Aussi je me mets à pourfendre la foule, le ventre en prou, notre survie en bandoulière et les deux enfants en remorque. Hardi, les gars ! Souquez ferme ! Nous arriverons bientôt à bon port…chez nous…

En format original, je rentre à Montréal…”

Dis, tu te souviens ? Moi, je me souviens… Et même, en titi…

Mais en fait je t’ai menti. Le panache blanc, c’est moi qui l’avais et qui allais, sans aucune pudeur, te l’agiter sous le nez. Enfin, ce vocable “panache” me chiffonne comme un début de rhume. Mettons qu’il s’agissait d’un vague mouchoir détrempé (tu sais que j’ai la larme facile, hein ? ). Car, comme nous n’étions qu’au début de notre aventure en famille dans ma Belle Province, j’ai préféré, à l’époque, tout mettre sur tes épaules, mon homme. Ça tombe bien, tu as le dos large, comme je le disais.

Seulement, un peu plus d’un an après, qu’en est-il ? Zatse ze kouèchtionne, en bon français…

Nous avons eu notre troisième affreux, tu as eu du travail, nous avons acheté une maison. Nous nous sommes tous épanouis, avec des opportunités incroyables. Faut croire que sept ans de préparation consciente ou inconsciente, ça fait son homme… ou une gang au complet. Inutile de m’étaler dessus, mon petit doigt me dit que tu le feras… et mieux que moi.

Que moi ? Et moi, justement ? Mon drôle de statut de “née-en-France/arrivée-bébé-icitte/repartie-lors-de-l’âge-ingrat-en France/ puis-reviendue-dans-le-coin” a suscité des réactions perplexes, amusées et bourrées d’une sympathique curiosité de la part de mes concitoyens fleurdelisés.

“ Alors, ce retour ? Pas trop dur ? Tout a changé, non?”. Ben non. Désolée… Mais si, quand même… Désolée.

Vois-tu, lumière de mes jours, cauchemar de mes nuits (t’ai-je déjà dit que tes ronflements auraient de quoi faire verdir de jalousie le moindre paquebot en traversée, par temps de brouillard ?)… Vois-tu, dis-je, je pense avoir un parallèle à effectuer (et toi, en délire, de scander “ oui, une image idiote ! Oui, une image idiote !”). Je m’exécute d’autant plus aisément que c’est tout ce que j’ai sous le clavier.

En revenant de France, j’ai eu cette impression bizarre de revenir d’un voyage d’affaire. Tu sais que durant ma vie professionnelle, j’ai toujours eu horreur de ces déplacements. Mais tu sais aussi que j’y ai beaucoup appris. Et entre deux coup de blues au sujet de mon chez moi, j’ai drôlement rigolé, surtout en Bretagne, berceau rustique de mes ancêtres. Après tout, je pense avoir une chance incroyable d’avoir séjourné en France. Qui sait ? Si j’étais restée ici, il est fort probable que j’aurai eu ce regret, celui de ne pas connaître le pays qui m’a vu naître. Et je suis sûre que je n’aurai jamais eu le courage d’y vivre, une fois l’âge adulte échu. Car je suis dotée d’un solide sens de l’inconscience, mais de courage, c’est une autre paire de manches… Mon épopée semble m’avoir mis les points sur les i. La France n’était pas faite pour moi, et je n’étais pas faite pour elle. Un exil de plusieurs années ? Y’a un peu de ça. Depuis hier soir, un petit bout de poésie me fait de l’oeil :

BagagesHeureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

(Joachim DU BELLAY)

Bon, tu me diras que mes parents sont en France, avec un petit air narquois. Je te répondrai que, pour ce qui est d’en être revenue pleine d’usage et raison, ta Scrogn aurait intérêt à repartir une couple d’années pour atteindre l’objectif.

Voilà donc résumé mon séjour dans l’hexagone. Dans ma sacoche, j’y ai quand même rapporté toi et nos affreux. Pas pire, non ?

Dès mon retour de ce fameux “voyage d’affaires”, j’ai fait comme tout propriétaire ou locataire digne de ce nom. J’ai fait le tour des pièces de mon chez moi pour voir si rien n’avait été cassé ou volé , si les dates de péremption n’étaient pas dépassées dans mon frigo, s’il n’y avait pas eu de fuite d’eau dans mon dos, si mes plantes avaient bien poussé et pour enfin soulager ma pauvre boîte aux lettres de ce paquet de factures en souffrance, de journaux orphelins, de lettres d’amis. Et tout ça au pas de charge. Je revois encore ta mine affolée, me suppliant de ralentir un peu pour le bébé à naître (puis né), et de ne pas vous laisser derrière moi sur le seuil de ma porte. Dame ! J’avais tant d’années à rattraper, moi !

En reprenant mon souffle, j’ai compris que ma Belle Province de maison, son âme et son cachet, malgré tous les changements que le temps y a apportés, étaient toujours les mêmes. Je m’étais tant préparée à trouver un pays qu’il m’aurait fallu ré-apprivoiser que j’ai failli passer à côté d’une évidence : en fait, je n’étais jamais complètement partie d’ici. Durant toute ces années, j’avais surveillé mon Québec du coin des cils et j’y avais laissé un petit bout de coeur. Juste au cas où…

Ce n’est pas très pratico-pratique, ce que je te raconte, là. Même, c’est limite un peu gnangnan. Que veux-tu. Je n’ai pas d’autres mots pour décrire mon retour, pour expliquer que j’ai repris ma vie au Québec, presque là où je l’avais laissée. J’ai remis le magnétoscope en route. Et même si j’ai raté un peu de film, je pense en comprendre l’intrigue.

Mais il me reste encore à faire du ménage dans mes valises et farfouiller avec entrain dans plein de placards de mon pays. De quoi m’occuper un bon bout’.

A la réflexion, j’aurais pu choisir une autre chanson pour illustrer mon retour icitte, en cette journée pluvieuse et glaciale du 26 avril 2006. Une de ces ritournelles souvent fredonnées par mes parents, tsé ? D’ailleurs, tu la connais itou. J’ai du te tanner à mort avec cette oeuvre de Jean-Pierre Ferland :

Je rapporte avec mes bagages
Un goût qui m’était étranger
Moitié dompté, moitié sauvage
C’est l’amour de mon potager

Fais du feu dans la cheminée
Je reviens chez nous
S’il fait du soleil à Paris
Il en fait partout

Fais du feu dans la cheminée
Je rentre chez moi
Et si l’hiver est trop buté
On hivernera

Je reviens chez nous”
paroles et musique: Jean-Pierre Ferland

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