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On le sait maintenant, le rapport de la commission Bouchard-Taylor est attendu ce jeudi. Et comme ma chronique sera livrée avant, je ne spéculerai pas sur les morceaux choisis de The Gazette.

Par contre, voici de quoi alimenter la réflexion : en janvier dernier, le conseil scolaire de Toronto a accepté – après un vote très serré – que soit créée une école afrocentriste dans la Ville Reine, une première au Canada. Avec un taux d’échec scolaire très élevé chez ses jeunes, c’est la toute dernière solution que la communauté noire a en effet trouvé pour tenter d’enrayer le fléau.

L’idée est qu’en enseignant à ces jeunes l’histoire des Noirs, on veut les aider à se réapproprier leurs origines, se revaloriser sur le plan identitaire avec toutes les espérances attendues en termes de persévérance scolaire, d’insertion professionnelle et d’intégration sociale. Précisons que ce projet doit s’inscrire dans le programme du ministère de l’éducation et – point important – que cette école ne sera pas réservée uniquement aux noirs mais ouverte à tous (même si on vise en premier lieu les jeunes de la communauté afro-canadienne).

Au Québec, c’est le 27 mai prochain que des commissaires de la Commission Scolaire English-Montréal (EMSB) entendront une demande pour ce même type d’école dite ethnoculturelle à Montréal. Dans l’état actuel des choses, je suis contre ce projet pour plusieurs raisons.

D’abord, pourquoi implanter une telle école au Québec quand nous aurons l’occasion de voir l’expérience torontoise se dérouler ? Regardons-là aller, tirons-en les apprentissages pertinents et évaluons ensuite si les transferts sont possibles dans un contexte montréalais. Il y a urgence d’agir pour lutter contre le décrochage scolaire mais parfois – comme ici – vite agir ne rime pas nécessairement avec bien agir.

En outre, si Toronto et l’Ontario ont jugé qu’ils pouvaient se le permettre, je ne pense pas que Montréal et le Québec puissent encore se payer ce luxe. Question de survie culturelle et linguistique de la société québécoise : à mon sens et sur des enjeux spécifiques, cette survie doit transcender les intérêts communautaires. Au nom de la préservation du « vivre-ensemble » qu’a rappelé notre ministre de l’éducation, Michelle Courchesne, pour justifier sa réticence face à ce projet d’école ethnoculturelle au Québec.

Car l’école est le lieu par excellence du développement du fond culturel commun, là où s’apprend la langue officielle, là où se transmettent les valeurs communes, là où s’acquière la formation initiale. Oui, l’éducation est un concept plus large que l’école et qu’opter pour un système public, c’est favoriser dans un sens l’étatisation de l’éducation. Mais on ne le répétera jamais assez : dans une société aussi petite que le Québec, il faut rester très vigilant sur les messages lancés à la population en général et aux néo-québécois en particulier. Ce qui est sûrement possible en Ontario ne l’est pas nécessairement au Québec et ceci ne signifie en rien que le premier est « plus ouvert » que le second.

Parlant de message : n’est-ce pas paradoxal que de chercher à améliorer ses chances d’intégration sociale dans la société en utilisant volontairement un moyen qui vous distingue clairement comme communauté ? Je ne prône pas la convergence uniformisante : je crois seulement qu’il est possible de s’intégrer tout en préservant l’essence de son individualité. Par exemple, à la création d’écoles de différentes confessions, je préfère l’enseignement de l’histoire des religions dans un seul système scolaire public. Dit autrement, au lieu d’avoir une structure pour chaque différence, mieux vaut avoir une structure intégrant le plus possible toutes les différences.

Ainsi, si la mission de l’école est notamment de préparer à l’intégration sociale, c’est-à-dire à l’insertion dans une société diversifiée sur le plan culturel, comment une école ethnoculturel pourrait mieux y parvenir si son credo est de favoriser une culture en particulier ? Il est d’ailleurs ironique de constater que le concept d’école ethnoculturelle peut largement s’appuyer sur la philosophie du multiculturalisme canadian, celle-là même qui prétend pourtant créer une société multiculturelle.

Enfin, comme le souligne avec raison la sociologue Sirma Bilge, le développement d’écoles ethnoculturelles peut créer deux dérives importantes : premièrement, créer le sentiment chez le groupe culturel majoritaire d’être désormais déchargé de sa mission éducative auprès des groupes minoritaires. Ce qui ne manquerait pas de favoriser le développement d’une école monoculturelle au sein du groupe majoritaire avec les risques, à terme, d’assimilation chez les groupes minoritaires. Autrement dit, la prédominance d’un groupe culturel majoritaire – l’interculturalisme québécois ici en l’occurrence – pourrait constituer une bien meilleure option pour les groupes minoritaires. Ainsi, si Tocqueville parle de la démocratie comme étant « la tyrannie de la majorité », Camus de répliquer que la démocratie c’est aussi « la protection de la minorité ».

Pourtant, la communauté afro-canadienne n’est pas une communauté immigrante au sens de groupe culturel ayant récemment immigré au Québec, bien au contraire. Et bien sûr, l’élévation du niveau général de scolarité de l’immigration a mis davantage en lumière les difficultés scolaires de cette communauté. Toutefois, le taux de chômage élevé d’une frange importante de néo-québécois pourtant hautement scolarisés – pensons aux maghrébins – montre à quel point l’insertion professionnelle et l’intégration sociale sont des enjeux très complexes. À ce point complexes que l’école – qu’elle soit ethnoculturelle ou non – ne peut qu’être qu’un maillon dans toute la grande chaîne que représente l’intégration sociale.

Et elle ne doit rester qu’un maillon pour nous rappeler en permanence que l’éducation de chacun reste l’affaire de tous. N’y a-t-il pas un proverbe qui dit que « ça prend tout un village pour éduquer un enfant » ? Ainsi, refuser le 27 mai prochain ce projet d’école afrocentriste à la Commission Scolaire English-Montreal serait une bonne façon de montrer que ce proverbe a toujours sa place dans la société québécoise en l’état actuel des choses.

Car le contexte actuel reste fragile : un récent sondage du Strategic Counsel (CTV et du Globe & Mail) révèle que 61% des canadiens-anglais estiment que le Canada est trop accommodant avec ses minorités visibles (un pourcentage qui grimpe à 72% au Québec). Bien sûr, un sondage est toujours à prendre avec un grain de sel. Par ailleurs, il y aura toujours des gens au pays qui vont considérer qu’on en fait trop pour les minorités visibles. Mais je crois néanmoins qu’il s’agit d’un indice supplémentaire d’une tendance lourde au Canada dont le dossier des accommodements raisonnables au Québec n’en est que la pointe la plus visible.

D’ailleurs, au sujet des accommodements raisonnables : quelque soient les conclusions de la commission Bouchard-Taylor, parmi toutes les choses qu’il faudra bien garder à l’esprit, une m’importe en particulier mais dont l’évidence sera certainement mise de côté.

Se (re)gratter le bobo identitaire au Québec sera certainement – à tort ou à raison – ce qui va dominer le débat public une fois le rapport rendu public. Et c’est normal : c’est une commission québécoise pour une société québécoise. Il serait cependant incohérent et surtout facile de la part de nos chers amis fédéralistes, du Québec comme dans le reste du Canada, de ne pas saisir l’occasion pour entamer, eux aussi, une réflexion sur l’identitaire canadien et leur multiculturalisme.

Incohérent en premier lieu parce que si on tient réellement à remettre ce rapport dans toute sa perspective, il faudra donc dans ce cas-là tenir compte aussi bien du contexte de l’interculturalisme québécois que du contexte du multiculturalisme canadian. Pourquoi ? Parce que sur le plan sociologique, il est impossible de nier l’influence du multiculturalisme dans toute la vaste question des accommodements raisonnables. Pensez à la Charte Canadienne des Droits et Libertés Individuelles. Je ne dis pas qu’il n’y aurait pas eu de défis sur les accommodements raisonnables si le multiculturalisme n’avait pas existé : je dis seulement que ces défis auraient probablement connu une nature et une gestion certainement différentes.

Qui, parmi nos amis fédéralistes, rejetterait cet argument du revers de la main rejetterait en même temps sa propre conception de l’intégration culturelle. En effet, en agissant ainsi – c’est-à-dire en affirmant que le multiculturalisme canadian est un bien meilleur modèle qui n’a pas à se remettre en question – il établirait une distinction entre canadiens et québécois. Un aspect distinctif qui est pourtant une notion que le multiculturalisme canadian s’évertue à effacer de toutes ses forces.

Facilité en second lieu car ça serait insulter toutes les communautés culturelles au pays que d’exhiber avec fierté le Québec comme une province canadienne comme toutes les autres quand ce dernier file droit et de le traiter de mouton noir honteux de la confédération quand ce dernier ose vouloir exprimer sa différence culturelle. Deux poids, deux mesures : n’est-ce pas justement ce que Pierre-Elliot Trudeau, le père du multiculturalisme canadian, voulait faire disparaître en s’acharnant à ce que toutes les communautés culturelles au pays soient traités de la même façon ? C’est-à-dire qu’il n’y ait qu’une mesure pour tout le monde ?

Quand on ne veut qu’un seul village et rien qu’un seul village dans tout le Canada, il faut être prêt à l’assumer jusqu’au bout.

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