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L’immunité ethnique

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Poursuivons dans la foulée du papier précédent en restant dans le thème de l’ethnique.

Je suis toujours surpris de constater combien les québécois de souche, de manière générale, marchent sur des œufs quand ils abordent le thème délicat des contacts entre groupes culturels. Car il y a toujours le risque – jamais agréable – de se faire crucifier sur la place publique pour propos xénophobes et passéistes. Bien sûr, il y a ces voix groupusculaires explicitement racistes qui font leurs choux gras des tensions interculturelles, surtout en ces temps d’incertitude économique. Des voix qui prennent beaucoup de place et qui donc noient les quelques autres voix, plus posées, réfléchies et aux réflexions souvent pertinentes. Le débat des relations interculturelles – urgent à plusieurs égards – se centre ainsi autour d’argumentaires simplistes favorisant l’enfermement de chacun dans des stéréotypes.

Ainsi, le québécois de souche rappelant qu’il est important d’aider les néo-québécois à s’éprendre du français pour protéger la culture québécoise se ferait certainement servir qu’il est « temps de passer à autre chose », qu’il devrait « arrêter de se regarder le nombril » ou encore qu’il doit « cesser son discours nationaliste discriminant ». Bien entendu, ce québécois de souche aura eu, en plus, le malencontreux défaut d’être « blanc », de porter un nom « bien québécois ». Et on continuera en disant que c’est certain qu’il est « péquiste » ou « adéquiste », opérant ainsi de stupides transpositions à la réalité québécoise des courants européens d’extrême-droite. Et pour que le jeu marche parfaitement, il faut que ces mécanismes d’étiquetages sociaux fonctionnent aussi de « l’autre côté » : on va s’attendre à ce que l’immigrant – à la belle « peau mate ou basané » et à l’accent « exotique » bien entendu – qu’il s’élève contre ce discours nationaliste discriminant et qu’il fasse l’apologie de la diversité culturelle. Mieux que cela : qu’il se pose en modèle d’intégration sociale et qu’il montre à la société québécoise comment et que faire en termes de relations interculturelles. Cela ne veut pas dire que le québécois de souche doit se taire pour « prouver » son ouverture à la diversité culturelle : on lui demande « seulement » d’accueillir et de supporter aveuglément ce discours – ce qui n’est guère mieux.

Ainsi, tel le diplomate bénéficiant d’une certaine protection au regard du droit international, le néo-québécois jouit ici également d’une sorte d’immunité ethnique. Parce qu’il est « ethnique », il peut se permettre de tenir un certain discours sur les relations interculturelles sans risquer de rentrer dans un champ de mines. Dans un climat ambiant valorisant à outrance le multiculturalisme et la diversité culturelle, le néo-québécois peut ainsi s’y draper pour pouvoir dénoncer tout abus en matière de discrimination ou d’ethnoracisme – ici, l’important n’est pas tant que l’abus soit fondé ou pas mais bien de pouvoir le dénoncer. Et gare au québécois de souche qui osera s’interposer : l’excommunication de l’Église multiculturelle lui pend au nez.

En tant qu’immigrant, je bénéficie également de cette immunité ethnique. C’est d’ailleurs justement pour cela que je peux me permettre d’écrire cette chronique : en effet, bien des critiques pourront m’être formulées mais seraient-elles similaires à celles reçues si j’avais été un Tremblay, Fillion ou Morissette, québécois de souche et de type caucasien ? En d’autres termes, je bénéficie d’une certaine liberté de parole sur certains sujets par rapport au québécois de souche car, au moins, on ne pourra me reprocher de faire dans le discours « de blanc » vu que je suis ni de souche ni blanc. Il faut ainsi relativiser le « courage » de certaines prises de position publiques d’immigrants : en effet, où est le courage politique quand l’immigrant sait qu’il bénéficie d’une certaine immunité ethnique ? Il est facile de dénoncer ici de la discrimination linguistique avec la Loi 101 ou là-bas un repli identitaire québécois quand on sait que si son opposant est un québécois de souche, blanc et au nom « typiquement québécois », on pourra mettre mettre en relief ces attributs. Pour évidemment laisser entendre qu’il y a de subtils relents racistes dans ses propos, évacuant ainsi tout débat intelligible et intelligent. On savourera ici la géométrie variable du raisonnement : au nom d’une prétendue diversité culturelle et de la pluralité des voix, on n’hésitera pas cependant à amalgamer toute la culture québécoise en la réduisant qu’à une seule voix raciste, percluse de préjugés et passéiste.

Mes propos ne visent ici que l’immigrant ou les groupes « culturels » usant et abusant de cette immunité ethnique pour déchirer leur chemise sur des épouvantails là où il n’y en a aucun en attisant des braises qu’ils ont eux-mêmes créées. Et cela vaut évidemment pour « l’autre côté » : bien des groupuscules nationalistes radicaux québécois s’évertuent à justifier un racisme culturel (discours postulant une incompatibilité irréversible entre groupes culturels) en invoquant aussi cette immunité ethnique, en s’arrogeant le droit de parler au nom de la « nation ».

En ce sens, le fait que je sois immigrant – à la peau mate qui plus est – est problématique : ne suis-je pas censé prendre fait et cause inconditionnellement pour la cause multiculturelle ? Que penser de ce néo-québécois qui a plutôt choisi de comprendre ce que peut vivre le québécois de souche dans la question des relations interculturelles ?

Lorsque je tiens un discours d’affirmation nationale de la culture québécoise, cela me fait toujours doucement rire quand je me fais répondre que je suis complètement assimilé, c’est-à-dire aliéné au mouvement souverainiste, devenant ainsi plus royaliste que le roi. J’ignorais qu’on était automatiquement souverainiste lorsqu’on tenait un discours nationaliste : bien des fédéralistes québécois riraient aussi. Par contre, je suis certain que si je faisais l’apologie du multiculturalisme et de la mosaïque culturelle, personne ne me dirait que je suis complètement obnubilé par l’idéologie fédéraliste, que je deviens plus canadian que tout autre canadien. Pourtant, à bien y regarder, pourquoi l’un ne se livrerait pas au même travail d’éducation idéologique que l’autre ? Pourquoi dans l’un je suis un gentil immigrant en phase avec la « réalité actuelle » alors que dans l’autre je suis devenu un immigrant déconnecté des « nouvelles réalités » ?

Ainsi, voir dans Michaelle Jean, l’actuelle Gouverneure Générale du Canada, la preuve « indiscutable » de l’ouverture de la confédération à la diversité culturelle, c’est soit ignorer soit faire preuve d’une hallucinante malhonnêteté intellectuelle concernant les jeux politiques à l’origine de sa nomination à ce poste. Dans le même sillon, la présence de Yolande James au poste de Ministre de l’Immigration dans l’actuel gouvernement québécois n’est pas vraiment le reflet – tout aussi « indiscutable » – de l’ouverture du Québec à l’interculturel. Sauf si l’on considère qu’exhiber de belles potiches constitue un geste suffisant pour exprimer son respect à l’égard des communautés immigrantes du Canada. Et si le poste ministérielle de Mme James est beaucoup moins honorifique que celui de Mme Jean, ses états de service jusqu’à maintenant ne laissent pas entrevoir autre chose qu’une belle façade. D’ailleurs, mettre Mme James au poste de Ministre de l’Immigration – sans réelle marge de manœuvre – c’est renforcer ce stéréotype dénoncé dans ma chronique précédent en enfermant l’immigrant dans des ghettos d’emplois. Et si l’on me réplique qu’un emploi de ministre est loin d’être un ghetto, je répondrai que cela ne vaut pas mieux que ces élites locales que les puissances coloniales fabriquaient de toutes pièces dans les pays conquis au temps de la colonisation pour amadouer les autochtones du coin. Si votre dignité d’immigrant peut toujours s’acheter aussi facilement, grand bien vous fasse.

De mon côté, j’estime mon intelligence mérite d’être traitée mieux que cela. À cet effet, je compte bien user et abuser de mon immunité ethnique.

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