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Espèce en voix d’expression

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Cette année, le Québec fête ses quatre cents ans d’existence. Le 12ème Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) se tiendra d’ailleurs ici en octobre. L’occasion de regarder la position particulière du Québec dans la francophonie aux niveaux international et canadien. Sorte de contribution personnelle pour aider le futur immigrant à mettre en perspective d’autres enjeux traversant la quotidienneté du fait français au Québec.

À ma connaissance, le Québec est le seul endroit au monde où le français s’est développé sans pouvoir compter sur un lien durable avec la métropole française. À l’inverse par exemple de plusieurs pays d’Afrique ou de petits bouts d’îles du Pacifique qui ont toujours entretenu une relation – prenant diverses formes selon l’endroit – avec la France. C’est là une donnée déterminante.

Le français québécois d’aujourd’hui est donc le résultat d’un processus « d’autonomisation linguistique forcée » comme le cajun et l’acadien. À la différence que le cajun est linguistiquement condamné et que l’acadien ne peut compter que sur un faible poids/influence.

Cela fait donc du Québec le principal foyer francophone en Amérique du Nord. Atout précieux pour une francophonie face à l’anglais. Et élément important : pas de relent colonialiste vient teinter la relation du Québec avec les membres de l’OIF en général et avec la France en particulier. Ce qui n’est pas anodin si on voit l’OIF comme une sorte de cheval de Troie néo-colonial pour la France (voir le pavé de l’académicien Maurice Druon). Bref, le Québec ne « doit rien » à la France mais plutôt tout aux États-Unis sur le plan économique. Cela n’empêchant pas français et québécois d’entretenir une étroite relation diplomatique.

Pour autant, n’allez pas croire que cela aide le Québec tant que ça. L’OIF est un puissant outil de promotion pour un Québec en mode affirmation d’un soi minoritaire. Pensons à TV5 par exemple. Mais pour la France – pas vraiment en mode survie culturelle – l’OIF sert aussi de terrain de jeu où créer/consolider des réseaux commerciaux. N’hésitant pas ainsi à proposer l’adhésion de pays dont la tradition francophone est floue (ex : Pologne, Bulgarie, Israël). Au point de faire dire à Mme Monique Gagnon-Tremblay, la ministre québécoise des relations internationales, qu’avant de penser à élargir l’OIF, il faudrait d’abord penser à approfondir. Question légitime : sur les 68 membres de l’organisation, moins de la moitié (32) ont le français pour langue officielle.

Par contre, on ne devient pas un gros joueur avec une attitude de boy-scout : la France aurait tort de ne pas en profiter. À scène internationale, enjeux internationaux où ceux du Québec, beaucoup plus régionaux, sont moins évidents. Le Québec est donc tiraillé entre son désir de ne pas diluer une francophonie qui ne lui ferait que du tort et son besoin de ne pas se priver d’une tribune internationale privilégiée.

À l’intérieur du Canada, c’est à peu près la même chose. Le sens commun ferait croire à des liens naturels entre le Québec et les autres communautés francophones canadiennes. Naturalité linguistique bien sûr mais aussi historique. En fait, il y avait même un solide front commun jusqu’en 1967. L’année où lors des États Généraux du Canada Français, le Québec passe du nationalisme canadien-français (à portée canadienne, donc) au nationalisme québécois (donc surtout concentré au Québec). Geste de rupture dont la logique s’inscrit dans la Révolution Tranquille. Et sa nécessité dans le besoin d’assurer l’avenir de la toute nouvelle société québécoise à l’étonnement d’un Canada anglais qui se demande alors « what does Quebec want ? ».

Les premières politiques fédérales du bilinguisme (1969) et surtout celle du multiculturalisme (1971) vont alors créer une drôle de situation dans la francophonie canadienne. D’un côté, une logique majorité/minorité pour les québécois francophones (majoritaires au Québec et minoritaires au Canada) et de l’autre côté, une logique minorité/minorité pour les francophones hors Québec (minoritaires quelque soit la province et minoritaires au Canada).

En clair, cela veut dire que si le multiculturalisme canadien, par sa logique de minorités, attaque de front les québécois francophones, il assure en revanche une certaine protection aux francophones hors Québec. Et que si le bilinguisme est vu avec une certaine méfiance au Québec (menace potentielle au fait français), il est plutôt vu comme une bénédiction pour les francophones hors Québec.

Deux exemples. En 1989, quand la communauté franco-albertaine a voulu administrer elle-même ses écoles, l’Alberta a contesté jusqu’en Cour Suprême. Le gouvernement québécois d’alors – fédéraliste – n’a pas appuyé les francophones albertains mais le gouvernement albertain. Québec voulait en effet éviter tout risque de voir la Cour Suprême décider à sa place qui aurait compétence pour gérer son éducation (toute décision de cette cour ayant une portée canadienne). En 1995, bien des souverainistes québécois ont pris de travers la décision des francophones hors Québec d’accepter une subvention d’Ottawa pour promouvoir la dualité linguistique … et ce, précisément durant la campagne du référendum.

Je trouve le combat des francophones hors Québec aussi justifié – et admirable – que celui des québécois francophones. Ils ne veulent pas se sacrifier au profit de la majorité québécoise et ils ont raison. Comme nous ne sommes pas prêts au Québec à se sacrifier pour ces minorités et nous avons raison. Conclusion : tout le monde a raison mais pour des raisons différentes. Essayez après ça de monter un front commun solide face à Ottawa.

Oui, il existe une solide coopération – largement financé par le Québec d’ailleurs – et tout au plus aurons-nous une alliance de circonstances, au gré des enjeux et de l’actualité. Et c’est compréhensible : francophones hors ou au Québec, chacun aborde le but commun (protéger le fait français) avec des perspectives opposées (l’un comme minorité et l’autre comme majorité). L’enjeu étant rien de moins que la survie culturelle.

La situation est même pire pour les francophones hors Québec pris à gérer une grosse ambiguïté. Car ils savent deux choses du Québec : que ce dernier peut être leur adversaire selon la situation mais qu’ils ont besoin de lui pour assurer leur propre existence. Disons que c’est plus facile de justifier des services en français quand on peut avancer plus de 20% de francophones dans la population canadienne. Même dynamique à l’OIF : enlevez la France et vous n’avez pratiquement plus de francophonie mondiale, quoi que fasse le Québec. Question de masse critique.

Que faire alors ? Sujet très vaste. Mais on peut avancer deux pistes. Tout d’abord, que le Québec redouble d’efforts : sa natalité bien entendu, mais aussi son économie ce qui aura automatiquement des retombées positives tant pour son marché du travail que pour sa langue. Quand on part d’abord de soi, c’est souvent la meilleure des solutions. Ensuite, réformer le fédéralisme canadien. Sujet encore plus vaste et inabordable ici. Mais le but est de briser cette dynamique où seul le gouvernement fédéral sort réellement gagnant : en maintenant sous respirateur artificiel les francophones hors Québec, il maintient un lien de dépendance qui lui permet de justifier – à peu de frais – non seulement un semblant de bilinguisme mais aussi un ersatz de francophonie canadienne. Ottawa a encore moins d’intérêt que le Québec à soutenir une francophonie épanouie et au poids politique significatif dans la fédération. C’est plus facile de reconnaître des droits constitutionnels aux minorités quand ces dernières restent justement des minorités.

Ainsi, quand le gouvernement fédéral a supprimé, en 2006, le programme de contestation judiciaire (vital pour les francophones hors Québec pour protéger leurs droits linguistiques), le gouvernement québécois – fédéraliste – ne s’est pas empressé d’annoncer qu’il prendrait le relais du financement. Il comprenait que soutenir un programme destiné aux minorités linguistiques, dans une perspective canadienne, pouvait être un moyen de nuire au fait français au Québec. Et, paradoxalement, de nuire à la francophonie canadienne en bout de ligne. Rien de bon pour rapprocher francophones du Québec et hors Québec. Diviser pour mieux régner.

Comme à l’OIF donc, le Québec est ici aussi en tension. Entre une vision de la francophonie canadienne à laquelle il ne peut pleinement s’identifier– quelque soit la couleur politique du gouvernement à Québec – et son désir de rester solidaire et responsable envers les autres communautés francophones.

On pourra répliquer que toute société vit constamment des tensions, que c’est normal et que cela reflète une certaine vitalité. Tout à fait. C’est pour cela qu’au lieu d’y voir un Québec isolé en fin de compte, je choisis d’en voir un Québec continuer à faire ce qu’il a toujours fait depuis quatre cent ans : suivre sa propre voie. Exprimer sa propre voix d’expression.

La francophonie mondiale s’est en gros définie selon un axe principal partant de l’Europe vers l’est : Afrique/Asie/Pacifique. Inscrit dans une dynamique colonialiste ou républicaine (c’est ici que j’inclus la Guyane, St-Pierre et Miquelon et les Antilles), le « français de France » a donc longtemps et largement déterminé ce qu’était la francophonie au plan sociolinguistique. Étant moi-même issu de cet axe – et ayant côtoyé d’autres personnes issues du même axe – j’ai pu constater combien l’adaptation locale du français reste fortement influencé par le lien avec la métropole (fonctionnaires expatriés, militaires, télévision, radio, presse, professeurs, etc). Je pense qu’on peut d’ailleurs transposer le même raisonnement à la Grande-Bretagne avec le Commonwealth (avec des nuances, bien sûr).

Le Québec pourrait véritablement boucler la boucle. C’est-à-dire être ce solide lien américain entre le Pacifique et l’Europe, complétant ainsi l’axe de la francophonie. Et redéfinir par le fait même cet axe sociolinguistique. Une telle ambition – non plus régionale mais internationale cette fois – n’est pas utopique car le Québec en a les moyens. En exploitant au maximum tous ses atouts distinctifs : centre de gravité de la francophonie nord-américaine, force économique, natalité, rayonnement culturel.

Ainsi, en mars prochain, sous l’impulsion de la Gouverneure Générale du Canada, sera présenté au TOHU à Montréal l’opéra rock Starmania version Haïti. Une œuvre musicale créée par un français (Michel Berger) et un québécois (Luc Plamondon qui en a fait aussi l’adaptation « haïtienne »), jouée par des artistes d’Haïti, une autre société francophone aux Amériques, le tout dans l’une des principales villes francophones du monde. Tout un symbole.

Donner plus de corps à sa voix et plus de chair à ses mots. Voilà un beau défi pour une espèce en voie d’expression. Il est d’ailleurs ironique de constater que l’année où la Chambre des Communes reconnaît la nation québécoise est aussi celle où le débat sur son évolution a dominé son espace public. Bref, le potentiel est là : par nature, il est une promesse à qui mille chemins sont possibles pour se réaliser.

Et la distance entre la promesse et la réalité s’appelle l’effort personnel qui ne dépend que de soi, aussi minoritaire soit-il.

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