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Par là où tout commence….

Février 2000. Depuis 3 mois, suite à une rupture sentimentale, je suis en pleine déprime. Quand je ne suis pas au boulot, je passe mon temps sous la couette, devant la télé, avec un paquet de chips à la main. Je me désintéresse de tout, je ne vois plus personne et je n’ai plus envie de rien.

Ce soir là, le seul bruit du téléphone qui sonne me hérisse le poil et me fait froncer les sourcils. « Foutez-moi la paix Bon Dieu ! ». Je sors la tête de ma couette et je tends le bras pour attraper le combiné.

– Mmmouais ?

– Allo ? Katy ? C’est Karine ! Du Québec ! Tu te souviens de moi ?
Si je me souviens d’elle ? Ben évidemment, c’est toujours ma meilleure copine, même si je ne l’ai pas vue depuis 6 ans….
Elle enchaîne :
– Depuis le temps que j’habite ici, tu n‘es jamais venue me voir. Alors cette fois-ci, tu n’as pas le choix. Tu es marraine ! Ta filleule s’appelle Marie-Chrystine, et le baptême est prévu dans 3 mois !
Je reste sans voix. Une promesse vieille de 6 ans ! Je n’avais pas oublié, bien sûr, mais à vrai dire, j’étais quasiment certaine que Karine n’aurait jamais d’enfants….

2 mois plus tard, tout en maugréant un peu contre ce voyage saugrenu et inattendu qui allait me faire rater la moitié des épisodes du feuilleton télévisé à la mode, je fais mes valises pour le nouveau monde.
Le Québec… Je n’en connais rien. Alors la région des Laurentides…. encore moins !
Je n’ai jamais voyagé (ou si peu !). Je n’en ai jamais éprouvé le besoin, car j’avais toujours réussi à trouver dans mon entourage de quoi satisfaire mes passions de toujours : la nature et les animaux. Et cela suffisait à mon bonheur.

J’atterris à Mirabel. Ma copine est là, elle me sourit. Que ça fait du bien de la revoir ! Je me penche sur Marie-Chrystine, et je craque complètement. A ce moment précis, je décide enfin d’envoyer balader ma déprime, et je commence à voir les choses du bon côté. Il était temps !
Quelques jours plus tard, un ami m’emmène en 4X4 au sommet de la Montagne du Diable.
Et c’est là haut, assise sur une pierre à côté de lui, les yeux dans l’eau, la tête dans les étoiles, et les paysages québécois étalés à perte de vue sous mes pieds, que je me suis vraiment sentie renaître.

Lorsque je suis rentrée, mon père m’a regardée d’un air suspicieux….
– Toi, je sens que tu vas aller habiter là-bas….
– Hein ? Tu rigoles ou quoi ? Moi, quitter la France ? Jamais de la vie ! Pourquoi faire ?

Mais c’est vrai, par contre, que ce pays m’intrigue. C’est la première fois que je me rends compte qu’un autre endroit sur Terre que le coin de campagne où je suis née peut réunir toutes les conditions nécessaires à mon bonheur…. C’est la révélation….

Je repars donc au mois de décembre de la même année. Pour en avoir le cœur net. Et ça me plait toujours. C’est fou ça ! Même l’hiver ! Je repars encore l’hiver de l’année suivante. Ca me plait encore plus. Alors j’arrête de me battre, j’arrête de nier l’évidence. J’aime ce pays. Et pas seulement pour ses paysages ! Non…. C’est un tout, c’est presque indéfinissable. Je m’y sens bien, c’est tout.

Mon père me regarde toujours avec ce même air suspicieux.
– Toi, tu vas vraiment finir par aller vivre là-bas….
– Meuhhhhh non….
Je n’ose pas lui parler de la Demande Préliminaire d’Immigration, que je viens d’envoyer…. Juste pour voir….

En 2003, j’enchaîne encore deux voyages. Le premier en avril, le second en septembre. Je ne peux plus m’en passer, c’est devenu un besoin vital. La vie à Paris m’est devenue insupportable, et seuls mes voyages outre-atlantiques me permettent d’échapper au stress de la grande métropole et à l’agressivité tangible qui y règne. Pour un temps, je peux retrouver le rythme de vie auquel j’aspire, et me réconcilier avec la civilisation qui m’entoure grâce à la gentillesse des Québécois. De plus, l’omniprésence de la nature me renvoie de plus en plus à mes rêves d’enfant, et à mes passions de toujours. Je rêve…. Je me sens bien. Chaque voyage est une renaissance. Chaque retour est de plus en plus insurmontable.

Le 23 octobre 2003, mon père s’éteint, victime d’un cancer. Douloureusement, je prends conscience que la vie n’attend pas. Il faut vivre ses rêves avant qu’il ne soit trop tard. Ma décision est prise, et quelques semaines plus tard, presque indécemment, je dépose mon dossier officiel d’immigration.

Et puis tout s’enchaîne très rapidement. Je reçois le CSQ un mois et demi plus tard. Mon dossier fédéral est déjà presque prêt, je le dépose dans la foulée. A ce rythme là, je peux avoir mon visa l’été suivant.
Mais je sens que tout va trop vite. Avoir son visa est une chose. Mais si on n’est pas prêt mentalement, il y a neuf chances sur dix pour que tout tombe à l’eau. Trop de questions se bousculent encore dans ma tête. Déjà, je culpabilise à mort de laisser tomber ma mère et mon frère dans ces moments encore très difficiles. Et il y a autre chose aussi…. Je laisse tomber le mec le plus gentil du monde….
Alors je dois être absolument sure de mes motivations. Je dois être absolument sure de vouloir tenter l’aventure. Je dois être forte, je dois être capable d’affronter les regards réprobateurs de la famille (et de la belle-famille) et de ne pas baisser les yeux quand j’entends « alors comme ça, tu laisses tomber ta mère ? Alors comme ça, tu as décidé de couper les ponts avec la famille ? Alors comme ça, tu laisses tomber Sébastien ? ».
Par bonheur, ma famille et ma belle-famille ne sont quand même pas si pires (petite parenthèse en passant, c’est marrant, mais depuis que je connais cette expression – pas si pire – je me demande bien comment on disait en « français de France » avant…. J’arrive plus à trouver d’équivalent approprié).
Aux petites phrases assassines se mêlent des mots d’encouragement ou d’admiration. Dans l’ensemble, je les trouve quand même compréhensifs. En fait, ça dépend des jours. J’ai l’impression qu’ils ne savent pas trop sur quel pied danser. Ce qui est sûr, c’est qu’ils m’aiment bien. Et que je leur fais de la peine à tous….

Je dois donc m’accorder le temps d’une réflexion plus approfondie. Un vieux projet, mûri depuis longtemps dans mon esprit, sera le cadre idéal de cette introspection. Le 20 avril 2004, je pars à pieds, sac au dos, pour tenter de rallier la ville du Puy-en-velay, en France, à Saint Jacques de Compostelle, en Espagne. 1600 kilomètres de chemins à parcourir, loin du train-train quotidien, du stress du boulot, de l’agitation parisienne…. loin de tout.
Il me faudrait écrire une chronique entière pour raconter cette expérience extraordinaire. Quelle richesse culturelle, quelle diversité de paysages, et quel bonheur de savourer tout cela au rythme lent de la marche ! Mais au-delà de tout cela, laissez-moi vous dire un secret…. Toute la magie de ce chemin réside dans sa dimension humaine. Des gens de tous âges, de tous pays, de toute classes sociales se côtoient sur ce chemin de poussière et d’étoiles. Le pèlerin vit hors du temps, hors de l’espace, et à mille lieues des conventions établies par notre société. Chaque émotion est exacerbée. Les rencontres qu’on y fait restent gravées dans le fond de votre cœur et jamais vous ne pouvez oublier ces gens dont vous avez un jour croisé la destinée. Miraculeusement, chacun réussi à apporter une pierre à l’édifice que vous asseyez de construire en vous. Un débat animé, une anecdote, un conseil, un avis, un silence, ou une simple accolade…. Chaque chose trouve sa place au moment où vous en aviez besoin.
Je dois avouer que je n’ai pas beaucoup réfléchis, dans le sens où je l’entendais avant de partir. Jour après jour, je me suis juste laissée porter par la magie de ce chemin.
Deux mois plus tard, j’ai déposé mon sac devant la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle. J’ai levé les yeux au ciel, et j’ai souris. Je me sentais prête.

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