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Maudit Farani

Maudit Farani pour maudit français. Sujet incontournable s’il en est dans un processus d’immigration au Québec : il aurait été injuste de ma part de ne pas l’aborder tôt ou tard. Il aurait été cependant encore plus injuste de saisir l’occasion pour rajouter de l’huile sur le feu. Casser du sucre sur le dos du maudit français (et sur l’immigrant français par extension) ne m’intéresse pas vraiment. J’ai beaucoup mieux à faire de mon temps et vous du vôtre. L’idée est tout simplement de tenter de comprendre un peu ce phénomène du maudit français.

Il y a quelques semaines, un ami québécois m’est revenu sur une discussion que nous avions eu lui et moi des mois auparavant. Il me rappelait combien il était resté marqué en apprenant qu’en Nouvelle-Calédonie, nous connaissions également le maudit français. Jusqu’à notre discussion, il était en effet convaincu que cela n’existait qu’au Québec et nulle part ailleurs au monde. Ce fût alors presque un soulagement pour lui de constater l’universalisme en quelque sorte de ce phénomène. Soulagement car, finalement, d’autres sociétés que le Québec vivaient cela. Bien évidemment, dans mon île, on ne l’appelle pas un maudit français car nous sommes aussi des français (nous savons aussi rire de nous-mêmes mais faut pas exagérer hein hi hi). En Nouvelle-Calédonie, on l’appelle le « zoreille ». Les raisons à l’origine de ce choix sont nébuleuses mais le principe reste le même : que ce soit au Québec ou en Nouvelle-Calédonie, se faire appeler ainsi est guère flatteur. Certains vont même jusqu’à appeler le zoreille un « 5/5 » …. soit le calibre de balle généralement utilisé par les néo-calédoniens quand ils vont chasser le cerf ! En Polynésie Française, il est appelé farani (prononcez frrrrrâni en roulant les r) : utilisé comme substantif, il a un caractère péjoratif définissant la personne débarquée de la métropole et qui se considère en terrain conquis dans l’archipel.

Ainsi, comment des sociétés aussi différentes et éloignées que sont le Québec d’un côté et néo-calédonienne et polynésienne de l’autre côté aient pu développer un concept du maudit français aussi similaire dans le principe ? (et je n’ai même pas fait référence à la Guyane Française, à la Réunion, la Guadeloupe, le Vietnâm et tant d’autres !). Le point commun entre toutes est certainement le lien qu’elles ont entretenu ou continuent d’entretenir avec la métropole française. Lien à l’origine de relations étroites sur les plans administratif, économique, politique, culturel et social. Mais cela n’explique pas tout. En effet, il ne suffit pas qu’un français arrive au Québec pour qu’il se dise : « c’est une ancienne colonie française, alors c’est la France ». S’ajoute le fait que la France est la France. Hé bien oui, prenez le temps d’y penser une seconde pour savoir ce qu’évoque ce pays dans votre esprit. Samuel Huntington, professeur à l’Université d’Harvard, classe la France dans la catégorie des « États-Phares ». Par ce terme, il entend un pays servant de référence (politique, culturelle, économique, sociale) à d’autres pays satellitaires. Historiquement, il est vrai que la France fût et reste influente : ancienne puissante monarchie, empire napoléonien, puissance coloniale, pays des droits et des libertés, pays fondateur de l’Europe, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, à la pointe dans plusieurs domaines (dont notamment l’avionique et l’aérospatiale). Mais c’est aussi sa gastronomie, ses vins, ses fromages et sa culture (littérature, cinéma, chanson, haute couture, architecture) qui rayonnent incontestablement dans le monde. C’est la fameuse exception culturelle française qui est reconnue et même recherchée.

En outre, la France est un des États-Phares d’une civilisation occidentale elle-même encore très influente dans le monde. C’est en effet en elle qu’est née la Révolution Industrielle, qu’a prospéré une des principales religions au monde, qu’ont émergé des courants de pensée déterminants sur les plans économique, culturel, philosophique, social, scientifique. Influence telle qu’elle est la seule civilisation, à ma connaissance, ayant réussi à atteindre un certain universalisme de ses valeurs, croyances et principes. Ni la Chine (État-Phare de la civilisation asiatico-confucéenne), ni la Russie (État-Phare de la civilisation slavo-orthodoxe) n’ont jamais pu prétendre à un tel rayonnement. Au contraire, la Chine essaie de concilier communisme et économie de marché et la Russie tente depuis plusieurs années de s’essayer aussi au libéralisme économique. Enfin, nombre d’institutions internationales sont sous influence occidentale (le français Pascal Lamy à la tête de l’OMC, le faucon états-unien Paul Wolfowitz au FMI, les principaux bailleurs de fond de l’ONU sont tous des pays occidentaux, 21 des 25 Jeux Olympiques depuis leur renaissance en 1896 ont été organisés dans des villes occidentales). L’équation est simple : avec le progrès économique, vient la puissance militaire elle-même intimement liée à l’influence politique, le tout renforçant la culture inhérente.

Bref, en combinant tous ces éléments, n’est-il pas logique d’une certaine façon que chaque français expatrié se considère, volontairement ou non, comme l’ambassadeur d’une culture qu’il sait reconnu pour son raffinement (français) et significativement intégrée dans une civilisation encore influente porteuse de liberté, d’égalité et de fraternité ? Probablement pourrions-nous rajouter un relent d’esprit colonisateur latent, reliquat du passé colonial français. En résumé, l’imaginaire collectif français pourrait avoir développé un réflexe devenu presque naturel à l’expansion outre-mer. Je trouve même compréhensible une telle attitude, ayant moi-même grandi dans une société basée sur le modèle français (un peu surprenant toutefois d’apprendre que mes ancêtres sont les gaulois durant mes cours d’histoire au primaire !). Apprendre la présence française un peu partout dans le monde, connaître son rôle souvent déterminant dans plusieurs événements historiques et sachant que je fais un peu partie de cette république, cela s’imprime d’une façon ou d’une autre dans l’esprit. N’y voyez aucune arrogance franco-française dans mes propos. J’essaie simplement de comprendre cette force identitaire républicaine ou ce sens de la citoyenneté française qui contribue nécessairement au phénomène du maudit français à l’étranger. Je retrouve une impression presque similaire avec ces états-uniens du New Jersey ou du Massachusetts (tendance plutôt démocrate donc) : cultivés, ouverts d’esprits et conscients des effets souvent désastreux de la politique étrangère de leur pays, ils restent cependant fermes avec un pointe de fanatisme sur la nécessité de protéger leur mode de vie et le devoir qu’ils ressentent comme (unique) grande puissance d’aller apporter la démocratie à l’étranger.

Objectivement, je crois qu’il est incontestable de reconnaître qu’à l’étranger, un français évoquera davantage d’images, de sensations et d’idées qu’un iranien ou un fidjien (par exemple). Partant de ce principe, un français à l’étranger peut raisonnablement déduire que la société d’accueil aura une connaissance générale de la France. Déduction encore plus pertinente si le pays en question partage un passé historique avec la France. Je ne m’attarderai pas au « vrai » maudit français qui, lui, est embourbé dans sa suffisance subjective en étant convaincu que tout pays devrait être comme le sien. Ce dernier semble chercher obstinément à faire rentrer son pays d’accueil dans SON cadre de référence culturel d’origine (« nous en France, c’est mieux parce que …. ») alors que peut-être, une meilleure attitude de l’immigrant français serait de mouler son cadre de référence à celui de son pays d’immigration (« c’est intéressant comment vous faites ici, va falloir que je m’adapte …. »). Ainsi, je préfère me consacrer au maudit français et, par extension, au maudit occidental qui s’ignore tout simplement. Par là, j’entends l’immigrant qui, bien que doué des meilleures intentions (humilité, ouverture d’esprit, respect), fait parfois preuve d’un eurocentrisme inconscient mais révélateur. Deux exemples vécus personnellement :

Premier exemple : « Le Québec, c’est vraiment magnifique mais c’est un peu triste qu’il n’ait pas une histoire suffisamment ancienne ». Par un passé historique encore jeune, cette personne se réfère au fait que, finalement, l’histoire du Québec n’a réellement commencé qu’avec l’arrivée de Jacques Cartier en 1534 lorsqu’il revendiqua cette terre au nom de François 1er à Gaspé. Lorsque je dis à cette personne qu’il y avait des amérindiens avant et que l’histoire du Québec n’a pas commencé avec les colons français, elle me répond : « ha mais oui mais là, on ne parle pas de la même histoire ! ». La même histoire (en italique dans le texte). Qu’est-ce que l’Histoire donc ? Je reconnais sans peine le rôle majeur qu’a tenu l’Occident dans plusieurs événements déterminants dans l’Histoire. Pour autant, cela ne confère ni à l’Occident ni à la France le droit de détenir les clés de l’Histoire (même si cette dernière est souvent écrite par les vainqueurs). Et ce raccourci est souvent fait et ce, je le répète, malgré les meilleures intentions des immigrants occidentaux que je rencontre.

Deuxième exemple : « J’avoue que je suis assez déçu de voir le peu de culture générale des québécois : ils n’ont pas tel vin à la SAAQ, difficile de trouver de « bons » fromages, et les livres, il y a des classiques qui ne sont mêmes pas en librairie ! ». Et lorsque je demande à quel vin, fromage ou livre la personne fait plus précisément référence, c’est systématiquement un produit d’origine européenne. J’ai remarqué que de manière générale, lorsque certains immigrants français parlent d’histoire ou de culture générale, ils font essentiellement référence à LEUR histoire et à LEUR culture. Et j’étends ce constat à la civilisation occidentale et non à un seul pays. Et je le répète de nouveau : pas d’arrogance chez ces immigrants. Ils sont au contraire, très ouverts aux autres cultures, respectueux des us et coutumes locales, humble face à leur société d’accueil. C’est donc quelque chose de très subtil mais paradoxalement très évident lorsqu’on y prête quelque peu attention. Rappelez-vous lorsque je parlais de l’universalisme occidental et du poids qu’une culture prenait consécutivement à la puissance économique.

Attention : je ne dis pas que tous les occidentaux sont des maudits occidentaux, que ce soit des « vrais » imbus d’eux-mêmes ou des maudits qui s’ignorent. Ne généralisons pas. J’avance seulement l’hypothèse que le poids historique d’un pays peut influencer, à des degrés divers et de façons très différentes, le comportement et la perception de chacun de ses citoyens agissant à titre d’ambassadeurs à l’étranger.

De l’autre côté, il serait injuste de ne charger que la mule de l’immigrant. Le concept d’État-Phare rappelle de manière métaphorique le rayonnement d’un pays à l’extérieur de ses frontières. Par le terme rayonnement, j’inclus autant sa connotation positive que celle négative : ainsi, on pourrait parler du rayonnement de la gastronomie française pour son raffinement que celui de l’actuelle politique de l’administration Bush en matière d’affaires étrangères …. En ramenant cela au niveau de la personne immigrante originaire d’un État-Phare, on peut supposer que lorsqu’elle arrive dans un pays étranger, il préexiste une certaine connaissance de son pays d’origine au sein de la population d’accueil comme écrit plus haut. Cette connaissance, dont l’étendue n’a d’égale que sa fiabilité ou sa diversité, peut créer un phénomène d’étiquetage lorsque certains éléments finissent par ressortir plus que d’autres au point d’en devenir caricaturaux. Exemples : dès qu’un immigrant français se plaint, il y a fort à parier qu’il va rapidement se faire taxer de maudit français car « il est bien connu que les français passent leur temps à chialer pour un rien » …. À l’inverse, il arrive souvent qu’un immigrant français se fasse demander pourquoi il a quitté son pays car « la France, c’est magnifique avec ses campagnes, ses vieilles pierres, l’histoire qu’elle a, etc …. ».

De fait, avant même que l’immigrant français n’arrive à l’étranger voire même avant qu’il n’ouvre la bouche, son interlocuteur a déjà en tête une certaine vision de la France et des français. C’est donc souvent à travers cette vision ressemblant souvent à un filtre déformant que seront interprétés les attitudes, comportements et opinions de l’immigrant. Un filtre encore plus tenace à enlever car le fait de partager la même langue et la relative proximité historique entre le Québec et la France créent un contexte trompeur favorisant les malentendus culturels. C’est ce que démontre le chercheur Jean-Pierre Dupuis d’HEC dans son étude : « Être un maudit Français au Québec : le cas des gestionnaires professionnels » présentée à un congrès de l’ACFAS (association canadienne-française pour l’avancement des sciences). Bref, des choses sont prises pour acquis – nous parlons la même langue, donc nous devrions êtres plus semblables que différents – et, j’insiste, autant du côté de l’immigrant français que du côté du québécois. Il y a donc des responsabilités partagées de part et d’autres, comme un cycle qui s’entretient de lui-même depuis des siècles …. À tel point que de chercher à savoir où, quand et comment cela a commencé reviendrait presqu’à déterminer qui de l’œuf ou la poule est arrivé en premier. Bref, une sorte de relation d’amour et de haine, ce qui est finalement logique dans la mesure où c’est seulement lorsqu’on aime vraiment qu’on peut alors réellement détester ! Le français semble refléter pour le québécois ce qu’il aurait pu devenir (s’il ne l’avait pas abandonné au 18ème siècle) et le québécois semble refléter pour le français ce qu’il aurait pu avoir (liberté d’entreprise, grands espaces, qualité de vie).

Le Québec, bien que société faisant entièrement partie de la civilisation occidentale, n’est pas une société-phare et encore moins intégrée dans un État-Phare (le Canada). Au contraire, tous deux vivent à l’ombre d’un puissant État-Phare occidental. À l’instar du défunt sociologue français Bourdieu, on peut y voir un rapport de forces entre dominants et dominés. Cela pourrait donc avoir une influence sur le comportement et la perception des québécois à l’étranger (surtout qu’ils n’ont pas de passé colonisateur si on fait abstraction de la question autochtone). Ainsi, il ne semble pas exister de phénomène de maudit québécois aussi notoirement connu que celui du maudit français. Et je pousserai l’audace jusqu’à dire que cela pourrait même expliquer en partie le complexe d’infériorité parfois ressenti chez les québécois à l’égard des français. Mais si la dominance est souvent évidente lorsqu’il s’agit d’économie, de force militaire ou d’influence politique, elle l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit de culture. Car cette dernière se caractérise par son aspect purement qualitatif : Marc Ménard, chercheur à la Société de Développement des Entreprises Culturelles à Montréal (SODEC), rappelle en effet que la culture, contrairement à une banane, un diplomate ou une ogive nucléaire, est rarement interchangeable. Mieux que ça : un livre, une chanson, un film, une façon de vivre véhiculent un contenu symbolique, soit « l’expression des québécois à se représenter le monde et leur désir de partager cette représentation autour d’eux ».
Par ailleurs, être dominé ne signifie pas nécessairement que l’on soit « né pour un p’tit pain ». La vivacité du fait français au Québec est, en soi, une preuve de résistance, de fierté et de force. D’ailleurs, c’est probablement parce que le Québec est dans une dynamique de survivance linguistique qu’il arrive parfois que les français ne saisissent pas la pertinence de la Loi 101. Issus d’un État-Phare, leur langue possède suffisamment d’assises solides pour s’entretenir par elle-même sans qu’ils n’aient à intervenir, au quotidien, pour la protéger. Cette préservation du fait français permet également au Québec de se distinguer significativement non seulement au sein de la civilisation « ouest-occidentale » (Amérique du Nord) mais également au sein du monde multi-civilisationnel qui est celui de la francophonie. Le succès du film Les Invasions Barbares en témoigne et le Saltimbanco du Cirque du Soleil bouscule agréablement les critiques parisiens bien établis.

Dans mon vécu, je suis issu de trois cultures différentes : mon père asiatique m’a appris à manger avec mes mains jusqu’à ce qu’une surveillante à la cantine, une française de métropole, me dise que c’était « sale » de manger ainsi et d’utiliser dorénavant mes couverts. Et ma mère de me rappeler combien la sexualité n’était pas un sujet tabou avant que les missionnaires n’arrivent au Royaume de Pomaré (Polynésie française). Cependant, de l’autre côté, les vers du poète anglais Blake m’enivre, je me délecte des mots de Brassens et j’ai foi en la démocratie, la laïcité et les libertés individuelles, qui sont toutes des valeurs occidentales. Mais je savoure aussi l’éthique du philosophe indien Krishnamurti ou encore la sagesse pénétrante du poète libanais Khalil Gibran. Et depuis que je suis au Québec, j’ai appris que le tutoiement peut être une forme de communication très fonctionnelle dans sa familiarité sans pour autant devoir sacrifier au passage le respect dû à mon interlocuteur. Que dois-je en conclure ? Peut-être que je suis un maudit français qui s’ignore finalement : car ce n’est qu’en étant confronté qu’à ce que je ne connais pas que je peux seulement réaliser les limites de mon relativisme culturel. Pour mieux les repousser !

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