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Jaser pour jaser

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Un article récent paru dans le journal La Presse faisait observer l’actuelle popularité croissante des cours de francisation. Au Québec, ces cours de francisation sont destinés essentiellement aux personnes immigrantes qui n’ont pas le français comme langue maternelle en vue de les aider dans leur insertion professionnelle et intégration sociale dans la société québécoise. Sur les plans pédagogique et didactique, ces cours de francisation ne doivent donc pas être confondus avec les cours de français du système scolaire "régulier". En effet, la francisation intègre une dimension socioéducative (sensibilisation aux codes culturels québécois, participation à des événements culturels, venue de conférenciers de diverses institutions, etc.)

De manière générale, on peut donc se féliciter de cette popularité de la francisation car l’immigration est clairement (et légitimement) sollicitée pour participer à la continuité du Québec, société majoritairement et officiellement francophone. À moyen et long terme, des bénéfices pourraient donc être attendus. J’écris "pourraient" car il serait hasardeux de poser un lien mécanique entre augmentation du nombre d’immigrants dans les cours de francisation et nombre d’immigrants effectivement francisés au terme des cours. Il y a parfois loin de la coupe aux lèvres : entre le premier et le dernier cours d’un programme de francisation pouvant s’étendre sur plusieurs mois, il peut arriver plein de choses (ex : tentation d’un emploi rapidement et facilement accessible comme journalier dans une usine où le français fragilement acquis, très peu sollicité dans le travail, se perdra rapidement ; opportunité d’emploi intéressant ou poursuite d’études au Canada anglais). La problématique du décrochage scolaire pourrait ne pas se limiter qu’à nos chères petites têtes des écoles du secondaire.

Ici, c’est un peu le même problème que les mesures d’aide aux chercheurs d’emploi annoncées par nos gouvernements : une fois le discours savamment médiatisé est prononcé (où on insiste lourdement sur le fait que telle mesure n’aurait jamais pu voir le jour sans telle subvention fédérale ou provinciale), nos chercheurs d’emploi sont immédiatement oubliés. Ils sont en effet partis pour un huit semaines d’aide à la recherche d’emploi et difficile alors de savoir qu’est-ce que ça a donné. Ça permet accessoirement à nos élus d’éviter de rendre des comptes sur l’efficience (ou pas) du programme lancé en grandes pompes deux mois plus tôt. Classique.

Par ailleurs, comme le soulève très justement l’article, cette popularité croissante s’explique également par le climat économique ambiant : les temps de crise économique sont en effet toujours propices pour un projet de retour aux études étant donné la morosité du marché du travail. Si on adopte une perspective purement économique, et de manière générale, on peut se féliciter de ce réflexe du travailleur : tout comme une entreprise doit investir en recherche et développement en situation de crise, investir dans l’actualisation de son capital humain dans la même période est important pour pouvoir mieux rebondir à la reprise (qui finit toujours par arriver). Et on conviendra qu’une certaine maîtrise du français est une mesure d’actualisation de son capital de travailleur si l’on regarde cela en termes d’employabilité. Le cas des immigrants en francisation diffère cependant quelque peu car ils ne sont pas à proprement parler dans une logique pure d’actualisation (c’est-à-dire de mettre à jour une compétence déjà là) mais plutôt dans une logique d’acquisition (développer une compétence nouvelle). Ceci dit, félicitons-nous quand même de cette popularité. Si on décide d’arrêter son analyse ici.

Car des spéculations plus fines – à défaut de pouvoir faire une lecture plus fine par manque de données à ce sujet – pourraient laisser entrevoir une conclusion moins glorieuse. En effet, il aurait été intéressant de pouvoir distinguer, dans le nombre total d’immigrants en francisation, ceux qui s’y inscrivent pour apprendre le français dans une vision « large » (insertion professionnelle et intégration sociale) et ceux qui s’y inscrivent dans une vision plus « réduite » (aborder le français de manière instrumentale dans un contexte de contraction du marché du travail offrant peu d’opportunités d’emploi). En schématisant, l’immigrant a vision large voit à long terme : son installation au Québec s’inscrit dans un projet d’intégration sociale où le français constitue le véhicule permettant de circuler dans pratiquement toutes les sphères de la société pour se les approprier (vies professionnelle, culturelle, associative, politique, religieuse, etc.) indépendamment des cycles économiques. L’immigrant a vision réduite (et non réductrice) voit à court et moyen terme : son installation au Québec est fortement tributaire des conditions économiques (en grande partie) et le français n’est qu’une sorte de bus dans lequel il choisit d’y monter comme d’y descendre, de manière anonyme et au gré de ses objectifs, en se limitant à quelques circuits en particulier (dont celui du travail essentiellement).

En d’autres termes – et pour poursuivre dans une analyse simplifiant, toujours par manque de données, une réalité sociale infiniment plus complexe (on se rappelle qu’on fait juste jaser) – si le marché de l’emploi avait été en très bonne santé, est-ce que les cours de francisation auraient connu un tel succès ? Formulons ça autrement : s’il y avait eu une abondance d’emplois n’exigeant "que" l’anglais et que je sois un immigrant ne maîtrisant "que" l’anglais, aurais-je quand même suivi des cours de francisation ? Toutes choses étant égales par ailleurs, la réponse serait probablement non. Et c’est compréhensible : d’un côté, un emploi immédiatement accessible et de l’autre côté, des cours de francisation avec des retombées en termes d’emploi seulement à moyen terme et qui ne sont d’ailleurs pas garanties. Un bête calcul de coûts et bénéfices.

En ce sens, le marché de l’emploi se contractant – réduisant autant les gisements d’emplois "francophones" que ceux "anglophones" – le coût devient moins élevé à suivre des cours de francisation dans la mesure où cette option (avec allocations si on y a droit, en plus) devient pratiquement aussi intéressante que celle de chercher de l’emploi avec "que" la seule maîtrise de l’anglais (toutes choses restant toujours égales par ailleurs). Sur le plan strictement économique, la vision réduite de l’immigrant apparaît la plus rentable car on se situe ici dans un marché réputé libre où chacun y circule tout aussi librement avec la bénédiction de la main invisible. Si l’on quitte maintenant le terrain économique et qu’on s’intéresse un peu plus à la dimension socioculturelle, il peut alors devenir pertinent de s’intéresser au rapport au français qu’entretient l’immigrant. En d’autres termes, quel est le pourcentage d’immigrants suivant actuellement des cours de francisation uniquement parce que le marché de travail n’offre rien d’autre d’intéressant ? C’est une question méritant, à mon sens, qu’on y fournisse quelques éléments de réponse. Car l’immigrant formera aussi le Québec de demain : c’est donc lui, entre autre, qui imprimera sa marque dans l’évolution de la société québécoise et qui accueillera également les futurs immigrants. Est-il raisonnable de s’attendre à ce que le message d’accueil transmis diffère beaucoup selon qu’il considère le français comme un véhicule personnel à entretenir ou comme un bus parmi tant d’autres ?

On associe étroitement au Québec – et avec raison – langue et culture, français et culture québécoise. Il peut alors devenir tentant de céder à autre association voulant qu’un immigrant maîtrisant le français soit nécessairement une personne acquise à la culture québécoise, intégrée au Québec. Ici, par personne acquise à la culture québécoise, je ne parle même pas d’être souverainiste, loin de là. Juste être conscientisé aux spécificités de la culture québécoise qui justifient qu’on la protège, qu’on soit un québécois souverainiste ou fédéraliste (les deux voulant le bien du Québec : ils divergent « seulement » sur les moyens pour y parvenir). Or, rien n’est moins vrai. La maîtrise n’est qu’un résultat : c’est le rapport au français comme processus qui m’apparaît réellement plus pertinent à scruter et qui devrait faire l’objet de toutes nos petites attentions.

Si on lance comme message à l’immigrant de voir sa maîtrise du français seulement comme un résultat (quelque chose qui doit rapporter) et non comme un processus (quelque chose qui doit épanouir), on se tire dans le pied. Il suffit de regarder où se trouve le Québec sur une carte pour le comprendre. Mais on fait juste jaser, là.

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