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La question de l’intégration professionnelle des immigrants sur les marchés du travail canadien et québécois reste toujours d’actualité. Les études ne manquent pas pour nous rappeler les difficultés que rencontrent encore les immigrants à non seulement s’insérer mais aussi à obtenir un emploi à la hauteur de leurs qualifications. Le but ici n’est pas de proposer des pistes de solution : le problème est bien trop complexe et systémique. Au contraire, j’aimerais alimenter le débat pour souligner combien l’idée de se faire reconnaître ses qualifications comme travailleur immigrant est loin d’être gagnée. Je vous le dis tout de suite : je ne me ferai pas nécessairement des amis parmi les immigrants qui liront cette chronique. Mais l’idée ici, c’est de partager une opinion et non de gagner un concours de popularité.

J’admets sans hésiter que plusieurs professions n’exigeraient qu’une mise à jour purement technique pour que l’immigrant soit ensuite fonctionnel sur les marchés du travail locaux (si on fait exception de l’apprentissage du français ou de l’anglais dans le cas de l’immigrant allophone, autre grand débat …). Il y a toutefois certaines professions qui, à mon sens, exigeraient bien plus qu’une « simple » mise à jour. Prenons les avocats par exemple : en toute franchise, une solide expérience professionnelle de plusieurs années de pratique dans le pays d’origine peut-elle compenser la méconnaissance, à un niveau professionnel, du droit civil québécois ou le common law ? Même question pour un enseignant du secondaire en histoire-géographie : comment son expérience, aussi solide soit-elle, pourrait-elle palier à la méconnaissance des modèles pédagogiques utilisées ici, sans parler de l’histoire et de la géographie canadienne ou québécoise (d’autant plus qu’on ne parle pas ici de seulement connaître mais de posséder une solide connaissance de ces disciplines en vue de les enseigner) ? Je ne suis pas convaincu qu’il suffise qu’un avocat suive des cours de droit et qu’un enseignant des cours d’histoire et de géographie (et de pédagogie) pour qu’ils soient ensuite suffisamment fonctionnels.

Un autre argument pour une autre profession avec lequel j’ai toujours eu de la difficulté : dans le cas des médecins (sujet hautement sensible), on va dire qu’un cœur au Québec est pareil que n’importe quel cœur partout dans le monde. Au sens biologique, tout ce qu’il y a de plus exact. Ceci étant, traite-t-on de la même façon sur les plans médical, organisationnel, administratif et même culturel ce cœur au Québec comparativement à ailleurs dans le monde ? Je ne sous-entends pas que la façon de faire québécoise est meilleure ou pas, je dis simplement que c’est la façon de faire au Québec, là où le médecin immigrant veut s’installer. Là où je veux en venir, c’est qu’au-delà de la dimension purement technique d’une profession (les compétences, les qualifications), il y a aussi une dimension sociologique. Cette dimension est le résultat de l’interaction de plusieurs facteurs qui font en sorte que les médecins québécois interviennent d’une telle manière car cela correspond à une façon spécifique de faire la médecine au Québec. En cela, le médecin québécois est un produit fini au Québec, c’est-à-dire un professionnel immédiatement fonctionnel et productif, car sa formation initiale est sociologiquement ajustée aux besoins mais aussi aux codes culturels et aux valeurs et aux besoins du marché du travail d’ici. En outre, au-delà de la formation académique et des résidences, le futur médecin québécois a déjà une certaine expérience du marché du travail local (emplois étudiant) et une certaine maîtrise de quelques subtilités des codes culturels en milieu de travail qui peuvent faire toute la différence dans son travail. Et c’est pareil pour le comptable tunisien en Tunisie, le psychologue français en France ou encore l’informaticien indien en Inde.

Mais prenez ces trois professionnels immigrants et mettez-les au Québec, ils ne seront pas des produits finis dans la réalité québécoise. Sûrement des produits semi-finis mais certainement pas finis. J’aime bien l’anecdote du médecin québécois parti travailler au Costa Rica : auscultant un patient, il avait de la difficulté à poser un diagnostic car les symptômes de son patient lui étaient peu familiers. Jusqu’à ce qu’un collègue costaricien, arrivant à ce moment-là, saisit tout de suite le mal car il s’agissait d’une maladie tropicale habituelle sous ces tropiques et qu’il rencontre donc régulièrement chez ses patients.

D’autres immigrants me répliquent par ailleurs que bien des québécois voyagent chaque année à l’étranger sans avoir aucune hésitation : ils embarquent ainsi sans problème dans des avions avec des pilotes non formés au Québec, vont monter dans des autobus entretenus par des mécaniciens non formés au Québec, etc. Sans parler des québécois qui vont se faire soigner à l’étranger parce que les listes d’attente sont trop longues ici Ainsi, si le pilote d’avion est suffisamment efficace là-bas – pour que des québécois lui fassent confiance – pourquoi ne le serait-il pas aussi au Québec ? L’argument est séduisant mais il mélange des choses importantes. Lorsqu’un québécois est à l’étranger, non seulement il y va de manière volontaire – en toute connaissance de cause – mais en plus il n’engage que ses propres intérêts individuels. Et de toute façon, il n’a pas le choix du pilote. En plus, le pilote chinois, le mécanicien chilien ou le médecin libanais ont une efficacité reconnue et incontestée car ce sont des professionnels formés et adaptés à la réalité de leurs pays respectifs.

La situation serait toute autre si ces trois professionnels immigraient au Québec : c’est ici l’intérêt collectif de tous les québécois qui est en jeu, où nous avons souverainement le choix de nos professionnels et nous sommes dans un espace (social, culturel, etc.) très différent de celui où ces professionnels ont été formés et où ils ont acquis leur expérience. Transposer directement la compétence d’un professionnel d’un pays à un autre, en faisant littéralement un « copier-coller » en se disant que s’il est compétent dans son pays il sera alors nécessairement aussi ici avec une simple mise à jour, est un raisonnement réducteur. Moralité : au Costa Rica, je vais davantage faire confiance au médecin costaricien et au Québec, au médecin québécois. Objectivement, l’un n’est pas meilleur que l’autre : tout dépend de l’environnement de travail dans lequel on place chacun.

La question est complexe lorsqu’il s’agit de professions dont l’activité les amènent à avoir accès à l’intimité physique ou psychologique de leur client avec les risques potentiels d’abus (ex : psychologue, médecin, etc. Et même un comptable : confiez-vous vos économies à n’importe qui ?). Nous touchons ici à un des fondements du système professionnel québécois avec l’enjeu de la protection du public. Il devient alors ici difficile d’imposer des mécanismes standardisés de reconnaissance des qualifications car la particularité de ces professions est de proposer un service personnalisé à la réalité singulière de chaque client desservi.

Je sais très bien que les ordres professionnels se camouflent parfois derrière l’argument de la protection du public pour protéger leurs intérêts spécifiques, au détriment justement de l’intérêt du public et des immigrants ici en l’occurrence. Et j’ai conscience aussi des petites guerres et des rivalités que l’immigrant subit. Comme écrit précédemment, le problème est systémique et en cela, il serait naïf de penser que les ordres professionnels en constituent le nœud. Est-ce à dire qu’un immigrant ne pourra jamais devenir un produit fini au Québec ? Bien sûr que non. Je veux simplement rappeler ici que dans le cas de la reconnaissance des compétences des immigrants comme dans n’importe quel enjeu collectif, ce n’est ni noir ni blanc. Ce ne sont pas les méchants ordres professionnels magouilleurs d’un côté et les gentils immigrants de l’autre côté. Il y a définitivement une minorité de magouilleurs mais une grande majorité de gens qui essaient sincèrement de faire au mieux. Et la phrase précédente vaut autant pour les ordres professionnels que pour les immigrants. Comme immigrant, je suis donc définitivement pour faciliter davantage la reconnaissance des compétences. Comme québécois, je suis aussi définitivement pour qu’on s’assure en même temps de la protection de mon intégrité physique et psychologique.

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