Alexis de Tocqueville : La visite d’un Français au Québec en 1831. - Immigrer.com
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Pensée du jour

Alexis de Tocqueville : La visite d’un Français au Québec en 1831.

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Que disait-il sur le Québec en 1831, le Bas-Canada d’alors ?

Alexis de Tocqueville (1805-1859) l’un de plus grands penseurs du XIX ième siècle publia “De la Démocratie en Amérique” au retour de son voyage aux États-Unis et au Canada. Il était parti enquêter sur le système pénitentiaire américain lorsqu’il fit aussi un séjour d’une dizaine de jours au Bas-Canada à la fin août et début septembre 1831. Le Bas-Canada était le Québec d’alors et la population était d’un peu plus d’un demi-million d’habitants. Les Canadiens d’alors sont les Québécois d’aujourd’hui.

Alexis de Tocqueville ne croyait pas avant son séjour au Bas-Canada qu’il y subsistait encore une présence française depuis la Conquête de 1763 par les Anglais. Il y découvrit ravi un peuple, un « corps de nation distinct » qui a conservé les traits de sa nationalité. Il fut frappé par l’américanité de ces Français : tout en ayant conservé leur caractère national, ils avaient cet esprit d’égalité et de simplicité qu’il avait remarqué chez les Américains. Tocqueville écrivit même :  » Il y a ici tous les éléments d’un grand peuple. Les Français d’Amérique sont aux Français de France ce que les Américains sont aux Anglais.  » Il note que les habitants du Bas-Canada ont réussi à préserver leurs institutions démocratiques, ce qui fait leur force.

En revanche, Alexis de Tocqueville s’inquiéta de plusieurs signes avant-coureurs de ce que le sort de ces Français en Amérique n’était pas encore joué. Il craignait l’inféodation d’une partie de l’élite du Bas-Canada au pouvoir colonial, les inégalités qui réservaient aux Britanniques les commandes du commerce et du pouvoir, l’immigration massive de nouveaux colons qui supplanteraient en nombre les Canadiens et une certaine apathie chez ces derniers.

——————————

Quelques autres notes extraits de  » Voyage en Amérique  » de Alexis de Tocqueville :

Question de Alexis de Tocqueville à M. Neilson, Écossais né au Canada : Pensez-vous que des Français puissent venir s’établir ici?

Réponse : Oui. Notre Chambre des communes a passé une loi il y a un an pour abolir la législation d’aubaine. Au bout de sept ans de résidence, l’étranger est canadien et jouit des droits de citoyen.

écrit le 25 août 1831 par Alexis de Tocqueville

“Apparence extérieure : le Canada est sans comparaison la portion de l’Amérique jusqu’ici visité par nous, qui a le plus d’analogie avec l’Europe et surtout la France. […]”

“Le fond de la population et l’immense majorité sont partout français. Mais il est facile de voir que les Français sont le peuple vaincu. Les classes riches appartiennent pour la plupart à la race anglaise. Bien que le français soit la langue presque universellement parlée, la plupart des journaux, les affiches, et jusqu’aux enseignes des marchands français sont en anglais! Les entreprises commerciales sont presque toutes en leurs mains. C’est véritablement la classe dirigeante au Canada. Je doute qu’il en soit longtemps ainsi. Le clergé et une grande partie des classes non pas riches, mais éclairées, sont français, ils commencent à sentir vivement leur position secondaire. Les journaux français que j’ai lus font contre les Anglais une opposition constante et animée. Jusqu’à présent le peuple, ayant peu de besoins et de passions intellectuelles et menant une vie matérielle fort douce, n’a que très imparfaitement entrevu sa position de nation conquise et n’a fourni qu’un faible point d’appui aux classes éclairées. Mais depuis quelques années, la Chambre des communes, presque toute canadienne, a pris des mesures pour répandre à profusion l’instruction. Tout annonce que la nouvelle génération sera différente de la génération actuelle, et si d’ici à quelques années, la race anglaise n’augmente pas prodigieusement par les émigrations et ne parvient pas à parquer les Français dans l’espace qu’ils occupent aujourd’hui, les deux peuples se trouveront en présence. Je ne puis croire qu’ils se fondent jamais, ni qu’il puisse exister une union indissoluble entre eux. J’espère encore que les Français, en dépit de la conquête, arriveront un jour à former à eux seuls un bel empire dans le Nouveau Monde, plus éclairés peut-être, plus moraux et plus heureux que leurs pères. Pour le moment actuel, cette division entre les races est singulièrement favorable à la domination de l’Angleterre.”

29 août 1831

« […] Nous nous sommes écartés dans les sentiers et nous avons causé avec tous les habitants que nous avons rencontrés, tâchant de faire porter la conversation sur des sujets graves. Voici ce qui nous a paru résulter de ces conversations :

[…] Ils sentent évidemment leur position de peuple vaincu, ne comptent point sur la bienveillance, non pas précisément du gouvernement, mais des Anglais. Toutes leurs espérances se rattachent à leurs représentants. Ils paraissent avoir pour eux et particulièrement pour M. Neilson –  » Il est cependant anglais « , nous disaient-ils comme avec étonnement ou regret – cet attachement exalté qu’ont en général les peuples opprimés pour leur protecteur. Plusieurs nous ont paru parfaitement comprendre les besoins de l’instruction et se réjouir vivement de ce qu’on venait de faire en sa faveur. Au total cette population nous a paru capable d’être dirigée quoique encore incapable de se diriger elle-même. Nous arrivons au moment de la crise. Si les Canadiens ne sortent pas de leur apathie d’ici vingt ans, il ne sera plus temps d’en sortir. Tout annonce que le réveil de ce peuple approche. Mais si dans cet effort les classes intermédiaires et supérieures de la population canadienne abandonnent les basses classes et se laissent entraîner dans le mouvement anglais, la race française est perdue en Amérique. Et ce serait en vérité dommage, car il y a ici tous les éléments d’un grand peuple. Les Français d’Amérique sont aux Français de France ce que les Américains sont aux Anglais. Ils ont conservé la plus grande partie des traits originaux du caractère national, et l’ont mêlé avec plus de moralité et de simplicité. Ils sont débarrassés comme eux d’une foule de préjugés et de faux points de départ qui font et feront peut-être toujours les misères de l’Europe. En un mot ils ont en eux tout ce qu’il faudrait pour créer un grand souvenir de la France dans le Nouveau Monde. Mais parviendront-ils jamais à reconquérir complètement leur nationalité? […] »

1er septembre 1831

« 1. Le Bas-Canada (heureusement pour la race française) forme un État à part. Or, dans le Bas-Canada la population française est à la population anglaise dans la proportion de dix contre un. Elle est compacte. Elle a son gouvernement, son parlement à elle. Elle forme véritablement un corps de nation distinct. Dans le parlement composé de quatre-vingt-quatre membres, il y a soixante-quatre Français et vingt Anglais.

2. Les Anglais jusqu’à présent se sont toujours tenus à part. Ils soutiennent le gouvernement contre la masse du peuple. Tous les journaux français font de l’opposition, tous les journaux anglais sont ministériels, à l’exception d’un seul, The Vindicator, à Montréal. Encore a-t-il été fondé par des Canadiens.

3. Dans les villes les Anglais et les Canadiens forment deux sociétés. Les Anglais affichent un grand luxe. Il n’y a parmi les Canadiens que des fortunes très bornées. De là, jalousie, tracasseries de petite ville.

4. Les Anglais ont dans les mains tout le commerce extérieur et dirigent en chefs tout le commerce intérieur. De là encore jalousie.

5. Les Anglais s’emparent tous les jours de terres que les Canadiens croyaient réservées à leur race.

6. Enfin les Anglais se montrent au Canada avec tous les traits de leur caractère national, et les Canadiens ont conservé tous les traits du caractère français. Il y a donc fort à parier que le Bas-Canada finira par devenir un peuple entièrement français. Mais ce ne sera jamais un peuple nombreux. Tout deviendra anglais autour de lui. Ce sera une goutte dans l’Océan. J’ai bien peur que, comme le disait M. Neilson avec sa franchise brusque, la fortune n’ait en effet prononcé et que l’Amérique du Nord ne soit anglaise. »

extraits de  » Voyage en Amérique  » par Alexis de Tocqueville, Cahier alphabétique A, uvres I, Paris, Éditions Gallimard, 1991, p. 201-212.

Pour obtenir les PDF du séjour de Tocqueville au Bas-Canada : http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/au_bas_canada/au_bas_canada.html

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Écrit par
Laurence Nadeau

Originaire de Montréal, Laurence Nadeau, cofondatrice d'immigrer.com, conférencière et aussi auteure de plus d'une dizaine de guides publiés (et mises à jour) en France sur l'installation, le travail et l'immigration au Québec et au Canada aux Éditions L'Express (et L'Étudiant). Auteure de "S'installer et travailler au Québec" aux éditions L'Express.

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