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La femme est l’avenir de l’Homme (6 décembre)

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La femme est l’avenir de l’homme (Léo Ferré)

Une sirène n’attendait pas l’autre.Je devais aller acheter un jeu de société en promo à la Coop étudiante, mais j’avais la flemme de monter la dizaine d’escaliers qui menaient tout en haut de la montagne.

C’était spécial cette année-là. Nous ressentions l’effervescence de ce mur qui tombait, de deux nations réunies, marquant la fin de la Guerre froide. Nous ne savions pas encore la simplicité d’un conflit bipolaire avec comme acteur principal une arme nucléaire si terrible qu’elle en devenait improbable. La période des examens commençait. La neige tombait. Grande adepte de la procrastination, c’est la pensée de ces marches à monter qui m’avait fait dire « Bah, j’irai demain ».

Mais pourquoi tant de sirènes ? J’ai allumé la télé en arrivant à mon appart du Plateau. Mon téléphone a sonné et j’ai entendu ma mère, qui n’appelait jamais en semaine, soupirer : « Ouf, t’es revenue ».

Ce soir-là, quinze autres mamans n’ont pas eu le bonheur infini d’entendre la voix de leur progéniture. Parce que ce soir-là, un jeune, en proie à une folie psychotique, a envahi l’école de génie de mon université. Il est entré dans une classe, il a demandé aux gars de sortir. Les étudiants ont pensé à une blague, mais c’était un peu tard pour les bizutages de début d’année. Ils ont commencé à comprendre quand le gars s’est mis à tirer. Les étudiants sont partis avec déchirement, se disant qu’au pire, leurs consoeurs allaient être violées. C’était un moindre mal, presque. Mais aucune n’a été violée. Le gars a juste crié « J’haïs les féministes » avant de tirer. Au total, il a tué quatorze femmes. Des étudiantes, une secrétaire, une fille venue attendre son chum à la cafétéria. Des dizaines d’autres étudiantes ont été blessées. Un papa, policier, a trouvé le corps de sa fille dans un couloir. Dans la poche du tueur, une liste de femmes médiatisées qu’il comptait également assassiner.

Au Pavillon Lionel-Groulx de l’Université de Montréal, le lendemain, régnait un silence effroyable. Les étudiants déambulaient, muets, le regard hagard.

Cela fera quinze ans dans quelques jours. Quinze ans afin d’apprendre à arrêter d’utiliser le conditionnel de l’avenir prometteur qu’elles avaient mérité; « elles auraient dessiné des routes et des ponts, elles auraient rendus leurs parents et leurs chums fiers, elles auraient été des mamans »…. Le Parlement du Canada a institué en 1991 le 6 décembre comme la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes. « Plus jamais », avions-nous dit. Or, depuis 1989, au-delà de 1000 femmes et enfants ont été tués au Québec.

Ça peut en avoir l’air, mais ce n’est pas par démagogie que je vous parle de cela. Je vous ai parfois entendu dire que les relations hommes-femmes ne sont pas « pareilles » au Québec. Quelques-uns parmi vous m’avez même dit avoir fait une croix sur la Femme Québécoise. Le running gag de la Québécoise castratrice est légendaire. Mais j’avoue que pendant que je rigolais, j’ai regardé autour de moi et posé des questions. Serions-nous, toutes, des harpies à mèche courte, des Mrs. Thatcher, faisant passer la Virginia Wolfe d’Edward Albee pour un genre de Jane Wyatt édulcorée (la maman au tablier bien propre de « Papa a raison ») ?

Je vous parle du « Massacre de Montréal », parce que si on s’engage dans ce vaste débat des relations hommes-femmes, je crois qu’il faut le faire sous l’hypothèse que l’événement tragique de Poly a contribué à façonner les relations hommes-femmes au Québec.

Une étudiante, à travers les médias, avait, à l’époque, exhorté ses collègues masculins à ne se sentir coupables. C’est que les gars (de Poly) avaient la mine si basse. Ils pensaient tout bas ce que d’autres disaient tout haut : pourquoi personne n’est intervenu ?

Personne n’est intervenu parce que la réaction la plus saine lorsqu’on se trouve devant un psychopathe équipé d’une arme illégale est de ne pas s’obstiner avec.

Mais bien sûr, quelques machos au courage improbable ont lancé qu’ils lui auraient arraché l’arme des mains, eux, s’ils avaient été là (remarquez l’usage du conditionnel). Qu’ils auraient tout fait pour arrêter cette folie meurtrière, quitte à en mourir. Ouais, ouais.

Chums, papas, intellos, machos, peu importe…. Au Québec, à ce moment, tous les hommes portaient le poids de la folie d’un seul homme.

La culpabilité, donc. Mais si l’horreur était commune, plusieurs hommes québécois ont navigué entre ce sentiment de honte, mais également un sentiment de malaise suite aux attaques visant…. les hommes qui tuent et les autres hommes qui n’empêchent pas les tueries.

Après le féminisme radical des années soixante-dix, les groupes féministes en 1989 veillèrent à ne pas amalgamer une certaine misogynie passive et cette folie meurtrière inexplicable. Les émotions étaient si vives qu’un certain malaise, sans doute latent, prit forme. Cet événement fut catalyseur d’une forme de protestation chez certains hommes; de la crise identitaire (entre macho et homme rose, il y a toute une gamme pleine de bémols et de dièses) jusqu’à la rancœur tous azimuts : contre les femmes de carrière, contre les femmes qui divorcent, contre les femmes célibataires, contre les femmes qui disent non, contre les femmes qui disent oui…. Dans le merveilleux monde de la télévision (devant laquelle des millions de Québécois passent quand même leurs soirées), l’image de l’homme n’est guère reluisante à l’époque. Il est de bon ton de dénigrer la gente masculine. Quelques expressions naissent : « Avoir une grippe d’homme » (car tout le monde sait que le seuil de douleur des homme est bien plus faible que celui des femmes). « Regarder avec des yeux d’homme » (c’est-à-dire regarder les yeux fermés, ce qui va souvent de pair avec la fameuse phrase : « Chérie, est-ce qu’il reste du lait ? » suivi de « Oui, chéri, dans le frigo, devant tes yeux »)…. Pourquoi ce dénigrement ? Je crois que ça fait partie de l’évolution normale d’une femme, maintenant, de traverser une phase pendant laquelle le prince charmant descend de son piédestal. Souvent provoquée après une expérience malheureuse, il y a une phase de guérison où on se dit que « le célibat n’est pas une maladie honteuse » (cf. épisode de « Rumeurs » du 29 novembre) et qu’après tout, les filles ont toutes les qualifications requises pour réparer un tuyau de lavabo (cf. publicité télévisée de la quincaillerie Rona L’Entrepôt).

Dans la suite de cette évolution, il est sans doute essentiel de gérer son autonomie sans ce besoin de dénigrer, et de réapprendre à faire confiance.

Après des années de soumission, des années où les publicitaires et les scénaristes dépeignent les femmes comme des boniches, ce sera le retour du pendule et l’on verra la vulnérabilité apparaître chez l’homme. Certains romans et certaines séries développèrent ce cliché jusqu’à en devenir grotesques. Impossible de refaire le passé, mais est-ce si grave ? A-t-on vraiment envie que l’environnement télévisuel, cinématographique, publicitaire, devienne un programme éducatif aseptisé et politiquement correct ? Je ne suis pas non plus convaincue que cela résoudrait le problème du désarroi de l’homme québécois (si désarroi il y a).

Désarroi, donc…. Il existe au Québec, depuis 1989 particulièrement, ce discours du « désarroi des hommes », qui prend origine dans quelques communiqués de presse de groupes masculinistes et quelques études sociologiques, et qui espèrent expliquer le taux de suicide des hommes québécois par la piètre condition masculine. Les chiffres sont discutables (les femmes étant plus nombreuses à tenter de se suicider, même si les hommes « réussissent » plus) mais à supposer que l’on accepte l’hypothèse du désarroi, je l’explique personnellement du fait qu’on a donné un nouveau rôle à l’homme face auquel il a ressenti certaines difficultés d’adaptation. Comme un programmeur qui sortirait de sa torpeur et qui dirait : « Oupssss, t’as un bug. Voici un patch. Maintenant, tu exprimeras des émotions ». Mais l’homme n’est pas un programme informatique. On ne peut pas défaire des millénaires et soudainement ordonner la spontanéité dans l’expression des émotions. Pas possible.

Avouons-nous le. Nous, femmes, maîtrisons l’art de l’expression des émotions depuis des millénaires (passons rapidement l’époque victorienne). Or…. parfois, ça sort tout croche encore, malgré notre éminent savoir-faire. Nous avons encore quelques difficultés à « agir en homme », à gérer ce pouvoir nouvellement acquis. L’homme rose donne le biberon, mais parfois trop tiède (quand ce n’est pas trop chaud). Il donne le bain au bébé, mais il passe vite l’épreuve de la lotion au zinc pour les fesses délicates de notre cher ange. Il fait la cuisine…. mais la propreté de la vaisselle est douteuse. Il passe l’aspi sur le sol, mais oublie les plinthes. Il travaille trop. Il ne gagne pas assez de sous. Il n’est pas assez présent. Il est trop colleux. « Faudrait savoir », reprochent les hommes parfois.

Et comme nous sommes à une époque où le déballage en public est médiatisé, et donc encouragé, nous en sommes arrivés à des accès de dénigrement public parfois très drôles, mais douteux d’un point de vue moral. Alors qu’il reste politiquement incorrect de dénigrer les femmes, d’où l’impression d’une certaine inégalité. Ce n’est qu’une grossière généralisation qui vise à démontrer que le désarroi, s’il existe, existe bien des deux côtés, et disparaîtra sans doute lentement, chez les générations futures qui n’auront pas connu cette époque d’apprentissage de nouveaux rôles. Il reste que le Québec sera sans doute sensiblement différent de ce que vous avez connu ailleurs. Je me rappelle avoir lu dans le « Métro » parisien, en septembre 2003, cet aspirant immigrant qui soupirait « J’aime le Québec, mais il y a un désavantage là-bas : c’est le féminisme ». Sans commentaire.

(Et si ce sujet vous intéresse, sachez que la journaliste Denise Bombardier a fait un documentaire sur le sujet intitulé « Le désarroi des hommes », et que Marie-France Bazzo animera un débat sur le même thème à l’émission « Il va y avoir du sport » de TQ, ce vendredi 3 décembre à 20 h).

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Écrit par
JayJay

Née sur la Côte-Nord québécoise et Montréalaise dans son coeur, JayJay a immigré en France en 1997 pour des raisons professionnelles mais surtout par amour pour un Français. Après un mariage et la naissance de deux petits franco-canadiens en 2000 et 2003, la petite famille a quitté Paris pour s'installer au Québec.

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