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Côte-Nord et Sept-Iles

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Côte-Nord et Sept-Iles

C’est la semaine des demandes spéciales! Eh non, ce n’est pas notre « sauveur du monde » qui a gagné, du moins pas cette fois, mais plutôt un forumiste qui m’a suggéré de vous présenter ma région natale, la Côte-Nord, et plus particulièrement une ville, Sept-Iles.

Difficile d’aborder de tels souvenirs qui sont plutôt reliés à mon enfance et à un père souvent absent. La Côte-Nord, c’est en effet la patrie sacrée du père, sauvage et intouchable (la patrie ou le père ? probablement les deux). D’ailleurs, un rire moqueur a été entendu dans la maison familiale lorsque j’ai annoncé ce vaste programme. Personne ne la connaît ni ne l’aime plus que mon père ne l’a fait, or je me sens bien désemparée lorsque je dois en parler. Lui qui s’était improvisé historien amateur durant les dernières années de sa vie l’a beaucoup mieux décrite que moi, qui ai passé plus d’une décennie à vouloir la fuir. C’est pour cela que je suis un peu gênée de vous la présenter, car je sens ses yeux bleus qui me scrutent sévèrement alors que je vous écris ces lignes. Il y a un monde entre ce que je devrais vous dire et…. ce que j’ai vraiment envie de vous dire.

Paraît-il que les Septiliens sont de mauvaise foi lorsqu’ils parlent de leur ville, c’est Foglia, un caustique chroniqueur d’un quotidien montréalais, qui l’a dit dans une série de chroniques sur la ville à l’automne 2002. Il a parlé du très laid et stalinien boulevard qui constitue l’entrée dans la ville. Je ne serai pas de mauvaise foi et vous avouerai qu’elle n’est effectivement pas très cohérente d’un point de vue d’urbaniste (visiblement la Ville n’embauche pas de ce côté). Je vous conseille de la survoler en avion pour mieux comprendre sa beauté véritable. Ensuite vous prendrez une croisière pour l’admirer de plus près. Sept-Iles est un bout de terre qui s’avance dans une énorme baie, et qui est entourée à sa gauche par des îles. C’est Jacques Cartier qui l’a nommée en 1535. Il faut savoir que son nom lui a été attribué sous de fausses prétentions puisqu’il n’y a pas SEPT îles, dans cette baie, mais bien SIX – la dernière île étant en fait un rocher qui disparaît sous la mer montante. Les eaux de la baie sont tellement profondes, qu’on dirait la mer. D’ailleurs c’est comme ça qu’on l’appelle en général, « la mer », nous, Septiliens de mauvaise foi. Cette eau bleue marine, sous un ciel presque aussi bleu, ces îles verdoyantes, sont d’une beauté vertigineuse, sereine et froide. Difficile de ne pas tomber en amour avec ce paysage. Dès qu’on s’avance un peu hors de la baie, dans le golfe, on a l’impression d’être en pleine mer. Avec un peu de bonheur, le capitaine fera une pêche de crevettes et vous laissera goûter aux plus fraîches et plus tendres crevettes que vous n’auriez jamais imaginées. Au bout d’une demi-heure, le bateau accostera à l’une des îles où vous pourrez vous prélasser sur la plage ou parcourir le sentier pédestre de l’île. Un peu plus, on se croirait en Corse ! La fraîcheur de l’air vous rappellera à la réalité. Au sommet de la montagne (qu’il est d’ailleurs un peu présomptueux d’appeler ainsi), vous serez sous le charme – une autre île au loin, cette mer tellement bleue, quelques bateaux qui font leur passage entre les îles…. Les macareux qui se taquinent entre eux et avec un peu de chance, une baleine qui fera sa majestueuse apparition. Vous vous lécherez les lèvres, vous délectant de ce sel que l’air y aura mis. La dernière fois que j’y suis allée, c’est ce qui m’a le plus frappée. Si Montréal est dans mon cœur, Sept-Iles est dans mes veines, et je suis convaincue que de l’eau salée y coule. Ma mère me rappelle que je n’ai pas inventé cette expression – un poète de Havre St-Pierre, Roland Jomphe, a publié en 1978 un livre intitulé justement « De l’eau salée dans les veines ». Aucun bord de mer ne m’a fait cet effet. Lorsque je hume l’air septilien délicieusement salé et iodé, j’ai l’impression d’enfin retrouver la normalité, comme un saumon qui remonte la rivière pour retourner chez lui.

Il y a deux saisons sur la Côte-Nord : l’hiver…. et le 22 juillet. J’y ai fait une randonnée de ski de fond un 10 janvier par -55 avec le facteur vent. Tout surpris, nous avons terminé la randonnée en constatant que le centre de ski était fermé…. pour cause de froid intense. L’été, il ne faut pas s’attendre à des records de température cependant. Vingt-cinq est sans doute le maximum dont j’aie été témoin. En général, à 22°, tout le monde se précipite à la plage. Comme elle fait environ 28 km de long, ça vous laisse une bonne marge de manœuvre, cela dit. Du sable comme ça, vous n’en verrez pas souvent. Soyeux, fin, ferme, humide, idéal pour les châteaux de sable. La mer est légèrement froide. « Légèrement ? », j’entends ma cousine s’exclamer, elle qui se prélasse désormais au bord de sa piscine dans le Gard. Dire que nous nous y baignions, enfants, ma cousine et moi. J’arrive à peine à y mettre une demi-jambe maintenant, à supposer que j’y sois par une belle journée chaude d’été.

Sept-Iles, très peu connue du reste des Québécois, a commencé à l’être un peu plus depuis que l’un de ses natifs, Guy Carbonneau, a été recruté par le Club de hockey montréalais le Canadien, suivi plusieurs années plus tard par Karl Dykhuis. Mais à part produire des joueurs de hockey, que fait-on à Sept-Iles ? D’abord poste de traite des fourrures en 1679, puis poste de pêche, puis fabrique d’huile de baleine, Sept-Îles a une vocation minière puisqu’elle repose sur un territoire très riche en matières premières. Une famille d’anglophones, les Clarke, avait au début du 20è siècle commencé à organiser les bases d’une économie : usine de pâtes et papiers, centrale hydroélectrique, construction du premier chemin de fer. En 1949 est créée l’Iron Ore Company (IOC), un consortium de huit entreprises canadiennes et américaines. Ensemble, elles construiront le port de mer, le chemin de fer de 350 milles et les premières villes de la Côte-Nord. C’est dans ce contexte d’espoir, de richesse, de renouveau, que ma mère, infirmière fraîchement diplômée, a décidé de quitter le confort de sa ville natale, Québec, afin de s’installer dans un village au nord-est de Sept-Iles, Havre-Saint-Pierre qui, en 1955, était plus grand que Sept-Iles. Un beau pilote qui passait souvent dans le coin l’a convaincue de l’épouser et de s’installer « en ville » – à l’époque il devait y avoir 4000 habitants à Sept-Iles. Mais un pilote, c’est souvent parti, et la solitude dans une région isolée, ce n’est pas nécessairement un party tout le temps. C’est pour ça que vous aurez droit au conseil « première ligne » de ma mère : « Allez-y en VISITE avant de vous y établir ». Elle sait de quoi elle parle. Sept-Iles est à 950 km au nord-est de Montréal. Quinze heures en car. Un billet d’avion Sept-Iles – Montréal coûte plus cher qu’un billet Montréal – Paris….

C’est une amélioration par rapport aux années cinquante où Sept-Iles n’était reliée au reste du monde que par le bateau. Dans ces années-là, L’IOC organise donc la transformation du minerai de fer dont regorge le territoire. De 1951 à 1961, la population décuple et en 1960, Sept-Iles sera enfin reliée au reste du Québec par la route. Dans les années soixante et soixante-dix, Sept-Iles est connue comme étant la ville des « petits bourgeois », plus riche que Montréal. Il n’est pas rare de voir trois voitures devant chaque maison. Les gens possèdent bien souvent des chalets en plus de leur résidence principale. Ce n’est bien sûr pas systématique, loin de là, mais c’est un phénomène qu’on voit plus souvent que dans les centres urbains, réputés plus riches. Nous faisons dans l’originalité car mon père, avec ses avions, a plutôt décidé d’ajouter un bateau à sa flotte. Et l’été il nous emmène visiter la Basse Côte : Harrington Harbour qu’on a pu voir dans le film « La Grande Séduction », Tête-à-la-Baleine, Chevery, Blanc Sablon, des tout petits villages de pêcheurs posés sur le sable, aux maisons de bois colorées, n’ayant jamais vu un touriste de leur existence. J’étais trop petite pour avoir des souvenirs précis, mais les images du film montrant le quai de bois de Harrington Harbour ont ravivé ma mémoire. En 73, nous avons passé l’été à la résidence secondaire d’un médecin de Blanc Sablon, meilleur ami de mon père. L’automne suivant, l’hélicoptère de ce médecin s’écrasa, le tuant, lui, sa femme et leur pilote. Vous croiserez peut-être son nom si vous voyagez dans le Bas St-Laurent. Le traversier Matane – Baie-Comeau porte son nom, Camille Marcoux.

Dans les années quatre-vingts, la « Compagnie » (comme elle est appelée généralement) fait face à une terrible récession et le taux de chômage atteindra des records effarants. Ironiquement, celui qui préside la déchéance de l’IOC, de 1977 à 1983, Brian Mulroney, sera promu en 1984 Premier Ministre du Canada. Pendant ce temps, Sept-Iles est désertée ; partout les maisons sont à vendre, et à des prix ridicules. Les deux cinémas ferment. On dirait parfois une ville fantôme. Mais en 1992, après un très court débat sur son impact écologique, l’usine de l’Aluminerie Alouette, extrêmement moderne, ouvre ses portes, redonnant espoir à la population. Sept-Iles se repeuple et redevient comme nous l’avions connue dans ses belles années. La relance est précaire, l’usine tourne souvent au ralenti. Les Septiliens sont encore à la merci de ces Allemands et ces Japonais qui peuvent décider n’importe quand de fermer boutique et d’aller chercher leur aluminium ailleurs, là où la main-d’œuvre est moins chère.

Il faut donc être conscient que le taux de chômage reste élevé par rapport aux grands centres urbains : 14 % pour le dernier mois. Ce qui vous donne droit au deuxième conseil de ma mère : « Si t’es diplomate de carrière, ben tu vas pas t’installer à Blanc-Sablon. Par contre, pêcheur, ça peut le faire ». Médecin, infirmière, secrétaire, enseignant, guide touristique, vous finirez peut-être par trouver. Mais informaticien, scientifique ? Dur, dur. Évidemment, si votre plus grand plaisir est de vous prendre des billets de saison pour le théâtre, je vous déconseille la Côte-Nord. Il y a bien quelques spectacles ici et là, mais la vie culturelle n’est pas le plus grand atout de cette région fort belle mais lointaine.
Les Septiliens sont très fiers de leur ville. Ils ont du mal à concevoir qu’on puisse vivre « en ville », à Montréal, dans la cohue, le stress, le métro souterrain et dans de petits appartements si loin de la nature. La route (par moments panoramiques) a beau les relier au reste du Québec, ils ont gardé parfois une mentalité d’insulaires, et ils ont parfois une attitude un peu…. fraîche, sinon tiède, envers les étrangers. Il y a peu de communautés ethniques. J’ai connu quelques noirs, des Vietnamiens, une famille suisse, quelques familles italiennes (dont un excellent boucher). Paraît-il qu’il y aurait au cégep quelques profs dont le nom semble arabophone. Parlant d’écoles, il y a plusieurs écoles à Sept-Iles, dispersées à travers la ville, et au niveau secondaire il y a deux écoles publiques (qui seront éventuellement fusionnées) et une école privée. Il y a un cégep, et vous comprendrez qu’il n’y a pas d’université. Les étudiants vont en majorité étudier à Québec ou Rimouski, et plus rarement, Montréal.

Vivre à Sept-Iles, c’est aussi côtoyer les Montagnais (Innu est le synonyme). Je serais très mal placée pour vous expliquer les relations entre les deux peuples, que je perçois comme étant teintées d’une froide indifférence. Les Blancs de là-bas vous diront qu’il est difficile d’aborder un Montagnais et je crois que l’inverse doit être un peu vrai – côtoyer les Blancs est mal vu par la communauté innu. Je n’aime pas trop que les gens de la « ville » (Montréal) accusent les Septiliens d’être racistes car ma perception est plutôt qu’il s’agit d’une réciprocité dans le mépris. Aux yeux des Blancs, le Montagnais boit trop, casse tout, ne paie pas d’impôt. Aux yeux des Montagnais, eh bien, nous sommes là, nous avons pris leurs terres et leurs rivières – bah, pas grave, ils ne sont pas possessifs. Mais nous les avons harnachées, nous les avons transformées en centres de profit, et pour ajouter l’injure à l’offense nous nous sommes appropriés les produits de la pêche en plus. C’est une vision sûrement très simpliste, mais j’aimerais qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas d’un racisme primaire comme décrit par les médias européens, par exemple durant la Crise d’Oka (qui mettait en scène une communauté très différente des Innus). D’autres sauraient mieux que moi aborder ce sujet délicat….

En mai 2002, je suis descendue à Sept-Iles après huit ans d’absence, pour aller dire un dernier au revoir à mon pilote et navigateur. Sous une pluie…. salée, nous l’avons porté en terre. Mon regret est qu’il ne soit plus là pour m’expliquer la Côte-Nord. Comme une ado attardée, je levais les yeux au ciel lorsqu’il en parlait. Il nous a laissé ses livres, heureusement. Ce soir-là nous sommes allés dans le restaurant le plus cool de Sept-Iles, « Chez Omer ». En l’honneur de Paul, nous avons dégusté de succulents sandwichs au crabe, bien beurrés, farcis de quelques centimètres de chair de crabe, et accompagnés d’une montagne de crevettes. C’est une des bonnes soirées de ma vie, où j’étais enfin en paix avec moi-même et avec ma région natale que je ne désavouerai plus maintenant, à défaut de ne pas la connaître comme je le devrais, à défaut de ne pas tout à fait avoir la mauvaise foi de mon père lorsqu’il disait que c’était le plus bel endroit du monde.

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Écrit par
JayJay

Née sur la Côte-Nord québécoise et Montréalaise dans son coeur, JayJay a immigré en France en 1997 pour des raisons professionnelles mais surtout par amour pour un Français. Après un mariage et la naissance de deux petits franco-canadiens en 2000 et 2003, la petite famille a quitté Paris pour s'installer au Québec.

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