Alors que la question de l’immigration s’invite de plus en plus au cœur du débat politique canadien, plusieurs premiers ministres provinciaux réclament un contrôle accru sur le système, espérant mieux répondre aux pénuries de main-d’œuvre et aux besoins spécifiques de leur économie. Mais pour de nombreux experts, la véritable priorité reste d’ouvrir un vaste débat national, afin de restaurer le soutien de la population et d’élaborer enfin des politiques fondées sur des preuves.
Des politiques improvisées et peu évaluées
« La plupart des politiques existantes ont été élaborées à la va-vite, sans aucune preuve ni évaluation sérieuse de l’impact des différentes catégories d’immigrants, de leurs performances économiques et autres », affirme Michael Trebilcock, chercheur à la retraite et spécialiste de la politique d’immigration. Selon lui, le système actuel relève davantage de l’improvisation que d’une réflexion basée sur la science et l’analyse des besoins.
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Cette opinion rejoint les préoccupations exprimées lors de la dernière rencontre estivale des premiers ministres provinciaux et territoriaux à Huntsville, en Ontario. Réunis pendant trois jours, ils ont unanimement plaidé pour une hausse de l’immigration économique, jugée essentielle pour pallier les manques de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs.
Provinces : plus de contrôle et de responsabilités
Dans la foulée, plusieurs provinces souhaitent obtenir davantage de leviers pour sélectionner et intégrer les nouveaux arrivants. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a ainsi réclamé un modèle similaire à celui du Québec, qui dispose déjà de son propre système d’immigration grâce à une entente historique avec Ottawa. « Est-ce que je veux que tout le système d’immigration repose sur les épaules de la province ? Non. Est-ce que j’aimerais être traité de la même manière que le Québec ? Oui, et toutes les autres provinces aussi », a-t-il déclaré.
Pour sa part, le ministre de l’Immigration de l’Ontario, David Piccini, insiste sur la nécessité d’un soutien financier accru de la part du gouvernement fédéral, surtout dans un contexte où le nombre de demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter et met à rude épreuve les services sociaux de la province.
L’expérience québécoise en exemple… ou en exception ?
Le Québec fait figure d’exception au Canada : il choisit ses immigrants économiques selon ses propres critères, avec une importance particulière accordée à la langue française. Ce modèle inspire plusieurs autres provinces, qui voudraient elles aussi adapter les seuils et profils d’immigration à leurs réalités démographiques et économiques. Mais, comme le rappelle Ninette Kelley, ex-haute fonctionnaire à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ce transfert de compétences s’est fait sans réelle évaluation de l’efficacité des programmes existants : « En même temps, je ne vois absolument aucune évaluation de la manière dont ces programmes sont mis en œuvre ni de leurs effets. »
Un soutien public à restaurer
Au-delà du jeu politique, une préoccupation s’impose : le soutien du public envers l’immigration s’érode. Selon Michael Trebilcock, cette tendance est « inquiétante » et menace la capacité du Canada à maintenir un consensus social sur la place des immigrants. Il plaide pour un examen public complet du système, mené de façon transparente, afin de rétablir la confiance par des politiques fondées sur des données probantes.
Ninette Kelley partage cet avis, affirmant qu’un examen global pourrait être réalisé rapidement si les « bonnes personnes » sont réunies autour de la table, plutôt que de s’éterniser dans des consultations pluriannuelles.
Les défis concrets des provinces
Sur le terrain, les provinces font face à des défis bien concrets. En entrevue, le ministre de l’Immigration de la Saskatchewan, Jim Reiter, a rappelé à quel point il était crucial pour les provinces d’être considérées comme de véritables partenaires par Ottawa : « Nous devons avoir plus d’influence dans la prise de décision, car une grande partie des flux économiques doit être ciblée en fonction des besoins spécifiques de chaque province. »
L’exemple de la Saskatchewan est parlant : sur les 3 600 places de son programme de candidats à l’immigration, les trois quarts doivent être attribués à des travailleurs temporaires, alors que la province cherche désespérément à attirer de la main-d’œuvre qualifiée pour ses grands projets industriels, comme la plus grande mine de potasse du monde en cours de construction près de Saskatoon.
Mieux reconnaître les diplômes étrangers
Pour répondre aux besoins du marché du travail, l’expert Michael Trebilcock avance une piste : faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers, notamment dans des domaines stratégiques comme le droit ou la médecine, où le Canada fait face à d’importants besoins.
Pour une gouvernance concertée de l’immigration
Les décisions fédérales en matière d’immigration ayant des conséquences directes sur les provinces, Ninette Kelley conclut sur la nécessité d’une coordination beaucoup plus étroite entre Ottawa, les gouvernements provinciaux et les municipalités. L’élaboration des quotas, mais aussi la gestion du logement ou des services médicaux, doivent impérativement se faire en collaboration afin d’assurer l’intégration réussie des nouveaux arrivants.
Un tournant à ne pas manquer
La question de la réforme de l’immigration s’annonce comme un véritable tournant politique. Si le Canada veut continuer d’accueillir et d’intégrer des immigrants avec succès, il lui faudra repenser ses politiques, impliquer le public, et miser sur la coopération entre tous les ordres de gouvernement. À défaut, le pays risque de s’enliser dans des ajustements fragmentaires et de perdre le consensus social qui a longtemps fait sa force.
Source : Noovo, La Presse canadienne
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