Des candidats à l’immigration et plusieurs avocats spécialisés expriment leurs inquiétudes : les nouvelles technologies utilisées par le ministère de l’immigration du Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC)) accéléreraient certes le traitement des dossiers, mais au prix de décisions parfois hâtives et difficiles à justifier.
Depuis plusieurs années, et encore plus ces derniers mois, nous avons abordé à maintes reprises les problèmes de délais à travers les articles et le groupe de discussions du forum. Ces questions sont au coeur des préoccupations des futurs immigrants, des travailleurs temporaires et des étudiants internationaux qui souhaitent venir au Canada.
Des refus qui surprennent
« J’ai vu des lettres de refus indiquant qu’un document manquait, alors qu’il était bel et bien dans le dossier », explique Mario Bellissimo, avocat en immigration à Toronto.
Pour lui, la situation est préoccupante : « Cela m’inquiète en tant qu’avocat, mais aussi en me mettant à la place du demandeur : qu’est-ce qui est réellement examiné par les agents ? »
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Certains candidats reçoivent donc des réponses négatives sans comprendre pourquoi, un problème qui mine leur confiance envers le processus.
Les outils en cause : analyse de données et Chinook
Depuis 2018, IRCC utilise deux outils principaux :
- L’analyse avancée des données, qui repose sur l’apprentissage automatique. Elle trie les demandes selon des schémas détectés, par exemple en fonction du type de profil ayant déjà été accepté par le passé.
- Chinook, un tableur permettant aux agents de traiter simultanément jusqu’à un millier de dossiers et d’insérer des justifications standardisées.
Officiellement, ces outils n’ont qu’un rôle d’appui. « Les décisions finales sont prises par des agents humains hautement qualifiés », insiste IRCC dans une déclaration transmise à CBC. Le ministère ajoute que les candidats refusés reçoivent des « explications détaillées ».
Mais plusieurs praticiens doutent que ces garanties soient suffisantes. Annie Beaudoin, ex-cadre du ministère, se souvient : « Lorsque j’ai débuté en 2004, la pression était bien moindre. Mais avant ma retraite en 2018, les gestionnaires rappelaient sans cesse les quotas de dossiers à traiter. On sentait que la rapidité primait sur la qualité. »
Un arriéré colossal
Le ministère doit gérer un défi immense : à la fin de juillet 2025, plus de 2,2 millions de demandes figuraient dans ses systèmes, dont près de 901 000 en retard par rapport aux délais officiels.
Pour IRCC, l’automatisation permet d’aller plus vite : l’analyse avancée des données réduirait les temps de traitement de 87 %. Mais pour les avocats, ce gain a un prix.
« J’ai vu des décisions horodatées après seulement quelques minutes d’examen. Ce n’est pas un gage de sérieux ni une médaille d’honneur », critique Bellissimo.
Le risque des décisions « en masse »
À Vancouver, Will Tao, avocat en immigration, a étudié le recours à Chinook dans un mémoire universitaire. Il se dit préoccupé : « Cet outil permet de rendre la même réponse à plusieurs dizaines de cas en même temps. Quand on parle de destin individuel, d’avenir familial, peut-on vraiment se permettre une telle approche collective ? »
Selon des documents internes, les agents peuvent insérer jusqu’à 150 décisions en une seule fois dans le système. « De toute évidence, ce traitement massif a eu un effet négatif sur le système », tranche Tao.
Une question de confiance
Pour les experts, le problème n’est pas seulement technique, mais institutionnel : la confiance du public repose sur l’assurance que chaque dossier est étudié avec rigueur.
« Le danger, c’est que les candidats aient l’impression que leur avenir se joue dans une boîte noire informatique », résume Tao.
Bellissimo, lui, va plus loin : « Ce n’est pas le rôle de la technologie de dicter le destin de ceux qui rêvent de s’établir au Canada. Le système doit rester équitable, transparent et humain. »
Le ministère de l’immigration du Canada se défend ses pratiques et affirme que seuls des agents humains décident. Mais les témoignages de terrain laissent planer un doute : derrière la volonté d’efficacité, la qualité et l’équité du traitement sont-elles toujours au rendez-vous ?
Source : Radio-Canada International
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