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Ode à Jean-Talon, ou Job…

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Ode à Jean-Talon, ou Job, prise 2

Avant d’entrer dans le vif de ce long sujet, j’aimerais vous parler de l’intendant Jean Talon. Brillant jeune homme, il fut envoyé en Nouvelle-France en désespoir de cause alors qu’elle était au bord de la faillite. Talon montra un dynamisme et un enthousiasme hors du commun. Il fut notamment l’instigateur de l’immigration en Nouvelle-France. Ayant la tâche pas mal plus ardue que la DGQ pour les intimes, il encourage les jeunes Français à s’y installer, et pas plus fou qu’un autre, organise l’arrivée de jeunes Françaises. Il accorde à ce beau monde de belles allocations s’ils font 12 enfants ou plus. (Petit message à Bernard : tu sais ce qu’il te reste à faire si tu veux gagner le prochain référendum, hein). Alors que personne ne voyait très bien ce que la Nouvelle-France avait à offrir, Talon développe l’agriculture, l’industrie et le commerce.

De nombreux produits dérivés portent désormais son nom, ces initiatives ayant fait de lui l’intendant chouchou des historiens. Mais pas de tous les historiens. Alors que j’étais étudiante dans une université anglophone de Montréal, mon prof d’histoire, très médiatique, prétendait (texto) que Talon était un incompétent, inapte comme tous les Français à faire des affaires, et qu’heureusement que nous avions eu les Britanniques car sinon nous serions tous morts du scorbut. À preuve, disais-t-il, la seule véritable réalisation de Talon fut la création d’une brasserie (car de toute façon rien n’intéresse les Québécois à part l’alcool n’est-ce pas). Vous croyez que j’invente? Même pas. À noter dans la catégorie « crédibilité » que ce professeur a fréquemment et publiquement fait des analogies entre les indépendantistes québécois et Mussolini, Goering et cie. Mais je suis en plein délit de digression alors je ferme la parenthèse ici.

Pour commencer à en venir au fait, Talon a donné, notamment, son nom à un marché que nous affectionnons mon mari et moi. Il a été le lieu de l’une de nos toutes premières sorties d’amoureux, en septembre 1997. C’est là que mon Français a découvert avec émerveillement ces étalages de poivrons multicolores, ces variétés de courges, ces épiceries fines (de produits italiens notamment) et les innombrables fromages, pains, saucisses… Notre fils aîné y a dégusté ses premiers melons en 2001. Mon beau-fils est tombé avec ravissement dans les cornets à la tire et au sucre d’érable. Logique, donc, que nous allions célébrer à Montréal, avec un pèlerinage au Marché Jean-Talon.

Célébrer? Elle a dit « célébrer »? Eh oui, car j’ai la joie de vous annoncer qu’après 25 candidatures dont 23 sont restées sans la moindre réponse, j’ai finalement décroché une nouvelle job! Et voilà la longue parenthèse numéro 2 qui démarre.

Il y a deux semaines, je reçois en même temps deux appels pour des entretiens. M’attendant à des tests très rigoureux, je révise rigoureusement mes logiciels. Je n’ai jamais réussi à être très studieuse plusieurs heures consécutives cependant, et j’avoue ponctuer mes séances de révision par des séances de magasinage (pour me trouver un tailleur pour mes entrevues bien sûr – n’importe quel prétexte est bon pour magasiner). Par bonheur, je déniche un tailleur-pantalon en soie brute, noir, léger, parfait. Je peux (enfin?) replonger dans mes bouquins.

Mardi matin, je suis un peu nerveuse évidemment. Je n’arrive pas à discipliner mon cheveu rebelle (l’utilisation du singulier étant ici une plaisanterie). Durant la nuit, un « spot » rouge a fait son apparition en plein milieu d’une de mes joues. Mes fils refusent de s’habiller tout seuls (je rappelle qu’ils ont 3 ans et 8 mois – c’est inacceptable, non?…. je devrais préciser que je me transforme en monstre lorsque je suis nerveuse). Ô infamie, mon mari décide de se brosser les dents alors que je m’apprête à faire un ravalement de façade. J’essaie de ne pas hurler au scandale. Puis ma mère (qui habite avec nous) vient rajouter son grain de gros sel et me dire d’arrêter d’être si pressée. Arrêter d’être pressée. Ça me fait penser aux gens qui vous ordonnent d’être « spontané ». Comment peut-on se forcer à être spontané? Je ne comprends pas. Bref, je jette tout ce beau monde hors de MA salle de bain et je finis par m’enduire de fond de teint. Direction placard maintenant.

Je m’empare de mon veston. Je le touche à peine que le bouton du devant tombe par terre. Je jure en chuchotant, et j’extraie un à un tous les fils qui sortent de la couture. Pas grave, je ne comptais pas l’attacher de toute façon. Mon mari s’habille (enfin) pour venir me conduire. Il fait froid, alors je me penche pour attacher la tuque de mon aîné. Et là…. je sens quelque chose se rompre. Pourtant mon pantalon était loin d’être serré. Je n’avais pas fait de mouvement brusque. Mais la couture était mal faite et le fil s’est…. défilé (ça m’apprendra à me ravir qu’un pantalon soit à peine 35 $). La honte. C’est relatif, vous me direz, ç’aurait pu arriver PENDANT mon entrevue (j’ai des sueurs froides en y pensant). Habituée, depuis 6 ans que je gérais des parcs informatiques, aux ennuis techniques, j’avais prévu un backup. Je vais donc me changer : pantalon noir passe-partout et veston au bouton absent, ça ira. J’attache mon fils à son siège auto, je salis mon pantalon. Je passerai les 5 minutes suivantes à le nettoyer frénétiquement dans la voiture. J’arrive à l’heure pile. Les tests commencent. Techniquement, je m’en sors, mais niveau timing c’est un peu serré. J’ai un peu plus de mal avec le test de français, je n’arrive pas à trouver le nombre de fautes qu’il doit y avoir (on m’a en effet révélé le nombre de fautes à l’avance). Au bout de deux heures de tests, je suis plutôt contente de me tirer. Mais le conseiller RH m’annonce que les résultats de mes tests étant satisfaisants (satisfaisants? méchant euphémisme – je suis persuadée d’avoir obtenu des scores quasi-parfaits), il me garde pour la suite. Et qu’est-ce que la suite? Une heure de questions non-stop. D’accord, j’aime bien parler de moi, mais là j’avoue que je devenais un peu à court de sujets. Je suis assez zen cependant et j’ai un sentiment plutôt positif. Cela dit, je me contredis quelques fois et, complètement assoiffée au bout de 3 heures, j’ai du mal à me concentrer. Je déchante un peu lorsqu’on me demande de lister des références…. canadiennes seulement. Alors que l’expérience valable et pertinente pour ce poste a eu lieu en France.

Puis v’la-ti pas que mon conseiller RH m’annonce qu’il me garde encore une heure pour me faire passer une évaluation-du-profil-de-compatibilité-avec-l’entreprise. Il me passe le questionnaire et je m’aperçois qu’il s’agit d’une évaluation psychométrique qui ressemble de très près au MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory), une évaluation d’environ 600 questions qui consiste en 10 échelles correspondant à des psychopathologies. Les résultats doivent normalement être évalués par un psychologue après plusieurs séances d’entretien avec son patient. D’un point de vue déontologique, ces résultats ne doivent jamais être analysés par quelqu’un qui n’a pas une maîtrise en psychologie. Je le sais car j’ai moi-même administré des questionnaires à des centaines de patients d’une clinique de psychologie et que j’ai effectué sous supervision l’évaluation de ces résultats. Mais dans ce cas-ci, évidemment, il s’agit d’une copie du célèbre test psychométrique, et donc les critères de manipulation ne sont pas aussi sévères. Je sais qu’il est inutile de mentir à ce test car les questions sont tellement nombreuses qu’on finit par se trahir. J’ai moi-même passé le test il y a plusieurs années et je sais aussi très bien quelles seront mes élévations, et je n’ai pas nécessairement envie qu’un éventuel employeur le sache, d’autant que je ne connais pas son degré de souci de protéger les informations personnelles. Mais tant pis, je me prête au jeu. Au bout d’une heure, je crois avoir fini lorsque monsieur le conseiller des ressources humaines se ramène avec…. un test de QI. À faire en 12 minutes chronométrées. Là je trouve que Maurice, il pousse le bouchon un peu trop loin. Il s’agit, après tout, d’un poste de secrétaire très en dessous de mes compétences, et très mal payé en plus. Je m’y plie, même si je n’ai plus deux neurones en état de fonctionner. Je pars finalement au bout de 4 heures en me disant que décidément, le Québec a bien changé depuis six ans.

Lendemain, rebelote. Au lieu d’étudier, je me suis joyeusement « pogné le bacon » (dans la mesure où une maman de deux enfants peut se pogner le dit bacon). Ma maman a réparé mon tailleur. Mes cheveux sont magnifiques, et j’ai le rouge à lèvres qui fonctionne pour moi ce jour-là. J’arrive en avance à mon rendez-vous. Je passe une heure d’entrevue où parler me semble la chose la plus facile au monde. Aucune question ne me prend au dépourvue, j’ai plein d’exemples de réalisations lorsqu’on m’en demande, les deux intervieweurs rigolent lorsque je leur raconte des situations de travail stressantes vécues dans le passé. Ils m’interrogent à propos de mon séjour à Paris, et de mes intentions de retourner en France. À la toute fin, l’un des intervieweurs me demande : « Mais pourquoi donc m’avez-vous envoyé votre cv en anglais ? Vous savez, j’ai failli le jeter aux poubelles ». Je suis confuse, je lui explique. Son acolyte lui fait signe de ne pas m’embêter avec ça, et me dit « Bien sûr, ici en Outaouais les exigences de bilinguisme sont plus élevées qu’ailleurs, et vous aviez sans doute l’impression de devoir prouver que vous étiez vraiment bilingue, c’est normal ». Je sens que ça se passe vraiment très bien. On passe aux tests, ça va. Des petits doutes au test de français, mais autrement, tout roule.

Le lendemain, l’un des intervieweurs me rappelle. « Nous allons vous envoyer notre proposition », qu’il dit. Le salaire ? C’était le bât qui blessait. Dans cette aventure, j’étais certaine de perdre plusieurs milliers de dollars. Eh bien non, j’obtiens la même chose que ce que j’ai actuellement, et au-delà de ce que je leur avais demandé comme minimum viable. Il s’agit d’un horaire « compressé », donc j’aurai mes vendredis après-midi libres. Les bureaux sont situés à 10 minutes en voiture de chez moi (Monsieur Deejay sera mon chauffeur car mes trois heures de trajet d’autobus par jour depuis cinq mois m’ont rendue allergique aux transports publics). La seule pilule à avaler, ce sont les deux petites semaines de vacances…. au bout d’un an travaillé ; mais ça, je le savais. Bref, c’est la joie et on a envie de célébrer.

D’où notre visite éclair à Montréal, histoire de se récompenser des dernières semaines de recherches décevantes. Sept petites heures à Montréal, dont deux passées dans les bouchons – et je ne parle pas du bouchon au Marché Jean-Talon un samedi après-midi. Nous sommes contents de revenir à Gatineau. Nous poursuivons la fête le lundi de Pâques dans les divers Rona, Canadian Tire et Réno-Dépôt du coin.

Morale de cette longue histoire :
– Lorsque vous présentez une candidature, assurez-vous de personnaliser votre cv afin qu’il soit rigoureusement en adéquation avec le profil requis.
– Relancez. Je ne l’ai pas fait, si mon patron avait jeté mon cv par erreur ou pour une autre raison ou malentendu, je n’aurais jamais eu la chance de m’expliquer.
– Vous êtes en Amérique du Nord…. mais faites votre cv en français même si vous vous sentez coupable de ne pas être « native english speaking ».
– Voyez les entrevues comme des occasions de pratique, au lieu de mettre tous vos œufs dans le même panier et croire qu’il FAUT que ce soit LA bonne fois (et risquer d’être amèrement déçu).
– Préparez-vous à toutes les éventualités de question, même les plus farfelues. Exercez-vous à répondre afin de donner l’impression que vous êtes sûrs de vous (même si vous êtes constamment en train de vous remettre en question comme moi).
– Préparez-vous un backup vestimentaire en cas de goutte de café un peu trop voyageuse ou d’incident technique.
– Étudiez et révisez si vous devez passer des tests.
– N’ayez pas honte de vos exigences salariales.
– Lorsque vous gagnerez…. célébrez ! Ça permet de décompresser, de vous récompenser, et ça fait un bien fou !
– Surtout : ne désespérez pas encore. Jean Talon vous a précédé dans des conditions considérablement plus difficiles. Malgré les médisances de mon ex prof d’histoire, il a réussi alors que la situation était beaucoup plus désespérée que la vôtre. Allez honorer sa mémoire en rendant visite au Marché qui porte son nom…. vous serez heureux et votre mal du pays s’envolera pendant quelques jours…

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Écrit par
JayJay

Née sur la Côte-Nord québécoise et Montréalaise dans son coeur, JayJay a immigré en France en 1997 pour des raisons professionnelles mais surtout par amour pour un Français. Après un mariage et la naissance de deux petits franco-canadiens en 2000 et 2003, la petite famille a quitté Paris pour s'installer au Québec.

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